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Après des manifestations historiques en début d’année 2024, la colère gronde à nouveau dans le secteur agricole. Depuis la mi-novembre, les actions se multiplient dans toute la France, tandis qu’un bras de fer s’engage au niveau européen contre l’adoption d’un traité de libre échange avec les pays d’Amérique du Sud. L’agriculture, autrefois pilier économique et symbole d’une réussite européenne collective, vacille sous le poids des contraintes et des difficultés.
Quels sont les symptômes de cette crise agricole ? Comment l’agrivoltaïsme, qui associe production agricole et énergétique, peut-il en atténuer certains effets et contribuer à une transition à la fois économique et environnementale ?
Un an de colère et des réponses jugées insuffisantes.
Des manifestations dans toute l’Europe
En janvier 2024, un mouvement sans précédent, parti des Pays-Bas, a essaimé dans 18 pays européens, dont la France. Réduction des cheptels bovins pour diminuer les émissions d’azote en Hollande, suppression des subventions sur le diesel agricole en Allemagne, concurrence des produits ukrainiens en Roumanie et en Pologne… Dans chaque pays, l’élément déclencheur est différent, mais la mobilisation revêt partout la même ampleur :
- Blocages routiers, défilés de tracteurs, déversement de lisier devant les préfectures… En France, la tension atteint son paroxysme à la fin janvier : les agriculteurs prennent la route de Paris et menacent de bloquer le MIN (marché d’intérêt national) de Rungis.
- Le 1er février 2024, Gabriel Attal, alors Premier ministre, annonce une série de mesures destinées à soutenir les agriculteurs et à alléger leur quotidien. Le mouvement ne cesse pas pour autant, mais les blocages se raréfient. Le Salon de l’Agriculture, fin février, est le théâtre de heurts importants.
Les promesses du gouvernement
Pour éteindre l’incendie, le gouvernement Attal a fait de nombreuses promesses. Parmi celles-ci : 400 millions d’euros débloqués en urgence, renoncement à la hausse des taxes sur le gazole non routier, allègement des contrôles, versement immédiat des aides de la PAC, ou encore mise en pause du plan Ecophyto 2030.
Le 3 avril 2024, le gouvernement présente un projet de « loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture ». L’agriculture y est reconnue comme un « intérêt fondamental de la nation ».
- Si certaines mesures ont depuis été appliquées, la mise en place de plus de la moitié d’entre elles a été brutalement stoppée en juin, avec la dissolution de l’Assemblée Nationale.
- Depuis, dans l’attente d’un vote sur le budget 2025, rien ne peut réellement se décider.
Crise agricole, Acte II : la faute à l’Europe?
Fin 2024, c’est la perspective d’un nouveau traité de libre échange entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Bolivie, Uruguay et Paraguay), qui met le feu aux poudres. Alors que la France, par la voix de ses représentants, s’oppose au traité, il n’est pas certain qu’elle trouvera assez d’alliés au sein des 28 pour empêcher la ratification du texte.
- Si le traité est ratifié, il provoquerait l’arrivée massive de viande étrangère, notamment en provenance du Brésil, à très bas prix.
- En octobre dernier, les inspecteurs de l’UE ont publié un rapport qui signale la très probable utilisation, dans les élevages brésiliens, d’hormones de croissance interdits en UE depuis 10 ans. Cette viande ne répond donc pas aux normes environnementales en cours, ce qui équivaut, pour les agriculteurs français, à une concurrence déloyale et à mettre en danger la santé des consommateurs.
- Les agriculteurs appellent donc à faire pression sur Bruxelles pour instaurer, a minima, des clauses-miroirs aux importations.
État des lieux de la crise agricole à l’horizon 2025
La faiblesse des revenus agricoles
Si le revenu agricole présente de grandes disparités selon les filières, beaucoup d’agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté en France et peinent à dégager un salaire équivalent au SMIC, malgré un temps de travail supérieur à 50 heures par semaine. Ils sont nombreux (plus de 36% d’après les chiffres de la Sécurité sociale agricole 2022), à se déclarer pluri-actifs, et donc à exercer une double activité.
- Le coût des intrants (engrais, semences, produits phytosanitaires…), le prix du gazole non routier, le matériel, les cotisations sociales, les frais de personnel et les taxes pèsent lourdement sur les exploitations. A celà s’ajoute, pour certains, le prix du fermage.
- Face à ces coûts de production en constante augmentation, les recettes sont soumises aux aléas des prix du marché, sur lesquels ils n’ont aucun contrôle. Les agriculteurs accusent notamment les industriels et les géants de la grande distribution de contourner la loi Egalim III, censée protéger leur rémunération.
Depuis 1992, les aides européennes de la PAC (Politique Agricole Commune) sont des aides dites « à l’hectare », ce qui signifie que leur montant est conditionné à la taille des exploitations. A l’échelle nationale, il existe aussi des aides au développement rural ou encore des aides ponctuelles, pour certaines filières en difficulté ou pour compenser des pertes exceptionnelles liées aux aléas climatiques.
Le poids des normes environnementales
Le Pacte Vert européen « Green Deal » et son codicille agricole, la stratégie « Farm to Fork » ont été votés en 2020 pour rendre l’agriculture plus durable et, in fine, atteindre la neutralité carbone en 2050.
- Le problème, c’est que les rendements et les volumes de production, face aux pratiques intensives en cours dans d’autres pays, ne font pas le poids.
- En France, l’application stricte des ces directives européennes (mise en jachère, interdiction de certains pesticides, etc.) accentue les distorsions de concurrence avec des produits importés en provenance d’autres pays, souvent moins chers car non soumis aux mêmes exigences sanitaires, environnementales et sociales.
Pour mieux accompagner la transition agroécologique de ces dernières années, la PAC a été réformée en 2023.
- Les agriculteurs qui mettent en place des pratiques agronomiques favorables au climat et à l’environnement (agriculture biologique, haies, mise en jachères…) peuvent bénéficier de paiements directs, dit éco-régimes.
- La filière bio, qui concerne 16 millions d’hectares de terres agricoles en Europe, représente néanmoins moins de 2% de la SAU totale.
Des difficultés qui s’accumulent
- Ces dernières années, l’inflation galopante et la perte de pouvoir d’achat a également des conséquences, puisque les consommateurs font de plus en plus attention à leur budget et ont tendance à déserter le bio et le made in france, plus cher, au profit de produits alimentaires importés.
- L’interdiction de certains pesticides, si elle se justifie par les normes environnementales et des préoccupations pour la santé humaine, ont également des conséquences : en l’absence d’alternative aux néonicotinoïdes, par exemple, la filière sucrière française (betterave) rencontre de grosses difficultés.
- A cela s’ajoute une pression sociétale croissante. Bien qu’ils soient souvent les premiers touchés par les maladies liées aux produits chimiques, les agriculteurs sont régulièrement victimes d’agribashing et accusés de nuire à l’environnement.
- Cela génère un mal-être profond, renforcé par la difficulté à trouver une relève : l’âge moyen des agriculteurs en France est aujourd’hui de 55 ans, et la profession a perdu plus de 100 000 actifs en seulement 10 ans.
- La résurgence d’épizooties, comme la fièvre catarrhale ovine, est un autre coup dur, d’autant plus que le vaccin existe, mais qu’il n’est pas disponible en quantité suffisante.
- Enfin, le changement climatique continue de faire des ravages. En 2024, on estime que les épisodes de pluie exceptionnels au printemps sont responsables d’une perte de récoltes de 10 à 30% selon les régions, ce qui aggrave encore plus les difficultés économiques des exploitants.
Agrivoltaïsme, une production énergétique qui se met au service de l’agriculture
Alors que la crise agricole occupe à nouveau le devant de la scène, la question de l’agrivoltaïsme dans les débats reste controversée. Si certains syndicats agricoles y voient une menace, d’autres en reconnaissent les bénéfices potentiels. Encore mal connu et parfois critiqué, l’agrivoltaïsme offre des perspectives intéressantes, en combinant opportunités économiques et réponses aux enjeux environnementaux et énergétiques actuels.
L’interview : Julien Marie
Agriculteur et chargé d’affaires foncières chez UNITe, Julien Marie livre son regard sur l’agrivoltaïsme, qu’il considère comme une réelle opportunité dès lors que le projet agrivoltaïque se construit en partenariat avec les agriculteurs.
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Diversifier ses revenus grâce au loyer photovoltaïque
Le premier avantage d’une installation agrivoltaïque réside dans le revenu généré par la production d’électricité, une fois l’installation raccordée au réseau de distribution Enedis.
- Si l’agriculteur décide de faire appel à un tiers investisseur comme UNITe, il n’aura aucun frais à engager. UNITe prend en charge l’intégralité du projet, construit et exploite la centrale pendant 30 à 40 ans.
- En contrepartie, l’agriculteur percevra un loyer fixe, dont le montant varie généralement entre 1000 à 3000 € par hectare et par an.
L’installation de panneaux photovoltaïques sur une terre agricole permet donc de générer un revenu complémentaire stable, donnant ainsi aux exploitants une visibilité financière sur le long terme. Cette stabilité financière peut faciliter la modernisation, la transmission et la pérennité des exploitations et offrir une réelle bouffée d’oxygène dans un contexte économique incertain.
Protéger les cultures et les animaux d’élevage
- Dans le cadre de l’élevage, qui se marie particulièrement bien avec les panneaux solaires, les études menées par l’Ademe et les chambres d’agriculture ont mis en évidence les bienfaits d’une installation agrivoltaïque sur les cheptels ovins et bovins (qui recherchent la fraîcheur et l’ombrage des panneaux), mais aussi sur la production de biomasse fourragère.
- Les volières photovoltaïques, dont UNITe s’est fait une spécialité, offrent aux oiseaux des conditions de vie optimisées et une protection supplémentaire contre l’avifaune sauvage, susceptible de transmettre des pathogènes comme le virus de l’influenza aviaire.
- Les panneaux solaires peuvent également jouer un rôle protecteur face aux aléas climatiques (fortes pluies, sécheresse, etc…), à l’heure où le réchauffement climatique bouleverse profondément les calendriers agricoles. En ce sens, l’agrivoltaïsme peut aider à la résilience des terres agricoles et à la bonne santé agronomique des parcelles sur lesquelles il s’implante.
Un cadre réglementaire strict
Afin de prévenir les dérives, la loi d’accélération des énergies renouvelables de mars 2023 et le décret relatif à l’agrivoltaïsme publié en avril 2024, sont venus préciser les conditions d’implantation des installations énergétiques sur les terres agricoles : taux de couverture limité à 40%, maintien d’une production agricole significative, etc. Ces gardes fous visent à préserver la priorité donnée à l’activité agricole et à garantir la souveraineté alimentaire française. Ils répondent aussi aux préoccupations du secteur, inquiet de voir le foncier agricole disparaître au profit d’autres usages.
Produire de l’électricité verte dans le respect de l’activité agricole
UNITe, qui travaille aux côtés des agriculteurs depuis plusieurs années, a particulièrement conscience des défis et des enjeux que constitue pour eux l’installation d’une centrale solaire. Les projets doivent s’inscrire dans un partenariat renforcé entre agriculture et énergie, cohabiter harmonieusement, et se mettre au service d’une transition écologique et économique durable, sans remettre en cause la pérennité des exploitations.
Conclusion
S’il ne constitue pas une solution globale à la crise agricole (et ne prétend pas l’être), l’agrivoltaïsme offre néanmoins de réelles opportunités. Bien conçu, il offre un complément de revenu stable qui peut soulager la trésorerie d’une exploitation mais procure aussi un certain nombre d’avantages, comme une résilience renforcée vis à vis des aléas climatiques et de meilleures conditions d’élevage pour les animaux. Une perspective somme toute bienvenue dans un secteur en quête de solutions durables et de stabilité.