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Solaire compétitif : merci la Chine ?

Table des matières

En une décennie, la Chine s’est imposée comme la superpuissance mondiale du photovoltaïque. Grâce à des investissements massifs et à des prix ultra-compétitifs, elle a largement contribué à faire du solaire une énergie accessible et compétitive, idéale pour décarbonater rapidement nos mix énergétiques.

Derrière ce succès, les inquiétudes et les sujets de préoccupations s’accumulent : tensions géopolitiques, souveraineté industrielle, bilan carbone des chaînes d’approvisionnement… L’Europe tente de reprendre la main, alors même que la demande en panneaux solaires explose de par le monde. Mais face aux enjeux actuels, peut-on vraiment se passer de la Chine sans freiner la transition énergétique ? Et à quel prix ? 

L’interview : Xavier Permingeat

En vidéo :

Xavier Permingeat, directeur d’activité photovoltaïque du groupe UNITe, revient sur l’importance de la Chine dans le photovoltaïque et sur les conséquences directes et indirectes du monopole qu’elle exerce sur le secteur aujourd’hui. Sans la Chine, le solaire serait-il devenu aussi compétitif, et que penser des efforts de réindustrialisation engagés en Europe ? 

Retrouvez le podcast :

Panneaux solaires made in China : la promesse d’une énergie verte à bas prix. 

Une stratégie industrielle hors norme

La Chine n’est pas devenue le leader mondial du photovoltaïque par hasard. Dès 2011, Pékin a engagé une stratégie industrielle ambitieuse, soutenue massivement par l’Etat, en investissant plus de 50 milliards de dollars dans les énergies renouvelables, en particulier dans le solaire. 

Au cœur de cette stratégie : l’industrialisation à grande échelle de la production de polysilicium, un matériau dérivé du quartz qui sert de base à la fabrication des cellules photovoltaïques. 

  • Pour accélérer cette montée en puissance, la Chine a pris des décisions radicales : réquisition de vastes territoires pour concentrer géographiquement la production (notamment dans le Xinjiang), recours à une main-d’œuvre ultra-compétitive, stratégie de prix ultra-agressive sur les marchés mondiaux. 
  • Résultat : la Chine a rapidement développé des capacités de production colossales, faisant émerger des géants industriels comme Tongwei, Longi ou GCL. 
  • Aujourd’hui, les dix plus grands fabricants mondiaux de panneaux solaires sont chinois.

L’Europe en retrait

Pendant que la Chine investissait massivement, l’Europe a peu à peu décroché. Alors qu’elle était en pointe dans les années 2000, la frilosité politique et économique a brisé l’élan de la filière. En France, le moratoire de 2010 sur les aides au photovoltaïque a été un coup d’arrêt brutal. 

Jusqu’en 2018, les barrières douanières européennes ont temporairement freiné les importations chinoises, mais dès la levée de ces mesures, les panneaux solaires chinois ont afflué massivement. 

  • En quatre ans, les importations en provenance de Chine sont passées de 5,5 milliards à plus de 20 milliards d’euros en Europe

Face à des investissements chinois toujours colossaux, les efforts européens sont restés marginaux. 

Une chute des prix vertigineuse

En quelques années, la Chine s’est hissée au premier rang mondial du solaire

Les panneaux solaires chinois ont littéralement inondé le marché, produisant bien au-delà de la demande mondiale. Conséquence de cette domination : en une décennie, le prix des panneaux solaires a été divisé par 15 ! Début 2025, il était de 10 centimes d’euro par watt-crête (0,10€/Wc), un chiffre historiquement bas. 

Cette surproduction et la chute des prix qui a suivi ont contribué à faire du solaire l’énergie la plus compétitive au monde, rendant enfin crédible une décarbonation rapide et massive du mix énergétique mondial. Le stockage d’énergie suit la même trajectoire. En dix ans, la Chine a investi massivement, ce qui a permis de diviser le coût des batteries par dix tout en améliorant la densité énergétique des équipements. 

  • Si le prix des panneaux est récemment remonté (autour de 0,12 – 0,13€ le watt-crête), c’est parce que les industriels chinois, confrontés à des difficultés croissantes et à la fin des subventions d’État, sont désormais forcés de réduire leur production.
  • D’importantes coupes ont été annoncées dès décembre 2024, et la tendance est à la stabilisation. 

Le revers de la médaille : les conséquences du monopole chinois

Une dépendance massive et risquée 

Aujourd’hui, plus de 80 % des panneaux solaires installés dans le monde sont fabriqués en Chine. Une part qui atteint près de 90% sur le marché européen. Même constat pour les onduleurs et les transformateurs. Le pays domine toutes les étapes de la chaîne de valeur : extraction et transformation du silicium, fabrication des wafers et des cellules photovoltaïques, assemblage des panneaux… 

Les industriels chinois ne se sont pas arrêtés au solaire. Ils assurent la production de 83% des batteries installées dans le monde. L’Europe n’a produit que 7 % des batteries mondiales en 2023, et le plus souvent dans des usines situées en Asie ! 

Cette concentration extrême soulève de sérieuses préoccupations en termes de souveraineté industrielle et énergétique. Dans un monde qui a tendance à se replier sur lui-même et où les tensions géopolitiques sont de plus en plus prégnantes, notre dépendance à l’égard des équipements chinois pose question. Si la Chine est encore à ce jour un partenaire commercial fiable, ses ambitions territoriales expansionnistes (notamment à l’égard de Taïwan) pourraient à terme jouer sur les équilibres actuels et perturber les chaînes d’approvisionnement.

Un bilan environnemental discutable

Autre sujet de controverse : l’empreinte environnementale des panneaux chinois. Même si la Chine fait des efforts, elle affiche toujours un mix énergétique ultra carboné et demeure le plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES) dans le monde : 28% des émissions globales. 

Malgré le renforcement des exigences environnementales européennes, qui imposent un seuil maximal de 700 kgCO₂ par kilowatt-crête (kWc), les panneaux solaires chinois parviennent toujours à pénétrer le marché européen.

Le coût humain : le spectre des ouïghours

Un autre sujet d’inquiétude porte sur le coût caché de cette industrie. De nombreuses ONG accusent depuis plusieurs années la Chine d’avoir recours au travail forcé dans la région du Xinjiang, en particulier dans les usines produisant du polysilicium. 

La pression est encore montée d’un cran en avril 2025 : le Royaume-Uni a introduit un amendement visant à interdire à sa compagnie nationale Great British Energy d’acheter des panneaux provenant des filières soupçonnées d’exploiter la minorité ouïghoure, une communauté musulmane persécutée. Des accusations que le gouvernement chinois a toujours réfutées.

Un réseau européen vulnérable ? 

Dernier point de vigilance : la cybersécurité. Un rapport explosif, publié en mai 2025, a récemment mis en lumière la présence de dispositifs de communication non documentés dans certains onduleurs solaires chinois, installés sur le sol européen. 

La menace d’un « cheval de Troie numérique » est prise très au sérieux, car ces équipements sont utilisés pour piloter les flux à l’intérieur du réseau. Une intervention extérieure, qui jouerait de la dépendance vis-à-vis de serveurs potentiellement extra-européens, pourrait gravement compromettre la stabilité du réseau européen. Or, aujourd’hui, 80 % du parc d’onduleurs intelligents en Europe provient de Chine.

Europe : vers une souveraineté photovoltaïque ?

Face à la domination chinoise, plusieurs pays cherchent à reprendre la main. 

  • Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act (IRA) a permis une vague d’investissements massifs dans l’industrie verte et une augmentation sensible des capacités de production américaines. Depuis la réélection de Donald Trump, le virage protectionnisme s’est encore accentué, avec la mise en place par la nouvelle administration de tarifs douaniers exceptionnellement élevés, notamment sur les importations solaires. 
  • Un autre géant, l’Inde, a annoncé qu’à partir de 2026, seuls des panneaux fabriqués localement pourront être utilisés dans les centrales solaires du pays, alors que 70% des équipements proviennent aujourd’hui de Chine, du Vietnam et de la Malaisie. 

NZIA : le réveil de l’industrie européenne

En Europe, la quête de souveraineté énergétique et l’ambition de réindustrialiser le vieux continent ont conduit à adopter de nouvelles mesures.  

Pour reconstruire une filière industrielle, l’Union européenne mise sur le Net Zero Industry Act (NZIA), un texte calqué sur l’IRA adopté fin 2023. 

  • Concrètement, Bruxelles veut accélérer la production de technologies vertes (dont le solaire) sur le sol européen, avec un objectif très clair : 40 % des besoins européens en technologies décarbonées devront être produits localement d’ici 2030.
  • Le texte promet un arsenal de mesures : simplification des procédures, soutien à la chaîne d’approvisionnement, aides à l’investissement… Le 28 mai 2025, la Commission européenne a annoncé des critères de durabilité et de sécurité renforcés dans les appels d’offres publics : résilience des chaînes de valeur, contribution à l’innovation, traçabilité… 

Parallèlement, la Commission a réaffirmé son engagement à atteindre 42,5% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de l’UE d’ici 2030. De nouvelles subventions sont prévues pour soutenir les fabricants européens.  

Plusieurs projets emblématiques en France

En France, l’effort de réindustrialisation est soutenu par la loi Industrie Verte, adoptée en octobre 2023. Ce texte vise à soutenir les industriels locaux et à valoriser le « Made in France ». Le Pacte Solaire de réindustrialisation, signé avec les acteurs du secteur, ambitionne de redéployer toute la chaîne de valeur sur le territoire et de faire du pays le « leader des technologies vertes en Europe ».

Depuis quelques années, plusieurs projets de megafactories ont émergé. 

  • HoloSolis, depuis peu installé à Hambach en Moselle, vise une production de 10 millions de panneaux par an dès 2026. 
  • À Fos-sur-Mer, Carbon prévoit d’industrialiser toute la chaîne solaire — wafers, cellules, modules — avec une ligne de production opérationnelle dès la fin 2026. 
  • Ces projets mobilisent des centaines de millions d’euros et suscitent un réel engouement citoyen, comme en témoigne la levée de fonds réussie de Carbon (trois millions d’euros collectés !) au printemps 2025.

Le secteur des batteries prend aussi son essor. À Dunkerque, l’entreprise grenobloise Verkor prévoit d’alimenter 300 000 véhicules électriques dès 2030, avec un objectif de production de 50 GWh/an. ACC (Automotive Cells Company) commercialise déjà ses premières batteries. Et certains industriels chinois, comme Das Solar, anticipent eux-mêmes un rééquilibrage du marché : le groupe construit actuellement une usine dans le Doubs, sa première implantation européenne, avec la perspective de produire localement les cellules solaires à terme.

Mais des obstacles bien réels 

Malgré cet élan, la route reste semée d’embûches :  complexité administrative, incertitudes sur les débouchés, difficultés de financement. 

  • En 2024, la faillite de Photowatt en France et celle, dans le domaine des batteries, du suédois Northvolt (malgré 15 milliards levés et le soutien d’actionnaires prestigieux comme BMW ou Volkswagen) ont jeté un froid sur l’enthousiasme naissant. 
  • Plus récemment, le suisse Meyer Burger vient d’annoncer la faillite de ses deux filiales allemandes de production de cellules, terrassées par la concurrence asiatique. 

En dépit des avancées, de nombreuses préoccupations subsistent quant à la compétitivité des produits européens, face aux prix cassés des panneaux chinois… 

Peut-on se passer de la Chine aujourd’hui ? 

A ce jour, les panneaux solaires chinois restent en moyenne deux fois moins chers que ceux qui sortiront des usines européennes. Pour les développeurs, accepter de payer plus cher pourrait se justifier… mais il faudra trouver un équilibre cohérent pour préserver la rentabilité des projets et tenir les objectifs de décarbonation. 

  • Certains tempèrent cependant le débat :  les panneaux ne représentent que 15 à 20 % du CAPEX total d’une centrale solaire. Le « surcoût » reste donc relatif. 
  • D’autres appellent à introduire des mécanismes de soutien spécifiques dans les appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), afin de valoriser le choix du made in Europe. Ces mécanismes devraient prochainement être mis en place.

Mais face à l’urgence climatique, le temps presse. 

L’Europe ne peut se permettre d’attendre que sa filière industrielle solaire soit pleinement opérationnelle pour avancer, d’autant plus que le solaire a encore de nombreux défis devant lui : améliorer l’acceptabilité des projets, repenser les réseaux électriques, produire des cellules toujours plus performantes, assurer le stockage de l’énergie produite… La transition est en cours, mais elle est encore loin d’être assurée. 

Conclusion : l’urgence, c’est la décarbonation.

Sortir de la dépendance chinoise est un chantier nécessaire, mais de long terme. Oui, il faut remercier la Chine d’avoir rendu le solaire accessible au plus grand nombre. Cela ne signifie pas renoncer à notre souveraineté énergétique et industrielle. Si l’Europe veut rester dans la course, elle doit soutenir activement ses industriels tout en continuant de déployer massivement l’énergie solaire pour tenir ses objectifs de décarbonation. 

Quant aux stocks de panneaux chinois, il y a fort à parier que la demande croissante d’énergie solaire à l’échelle mondiale permettra de trouver rapidement de nouveaux débouchés. En 2024, 593 GW de solaire ont été installés dans le monde, soit l’équivalent de 40 réacteurs nucléaires de type Flamanville en production annuelle. D’ici 2040, le solaire pourrait devenir la première source d’énergie primaire mondiale, devant le pétrole à l’horizon 2050.

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