Le développement du photovoltaïque sur les terres agricoles est l’un des grands axes de la stratégie nationale française, qui vise à multiplier par 10 la production d’énergie solaire d’ici à 2050. L’élevage, en particulier, est compatible avec l’installation de panneaux solaires. Si cette pratique est encore jeune, les premiers retours d’expériences et résultats d’études sur le photovoltaïque et l’élevage sont désormais connus.
Camille Rebut, cheffe de projets photovoltaïques chez UNITe, fait le point sur les avantages du photovoltaïque en élevage et sur les enjeux qui entourent ce type de projet.
Évolutions et débats autour du photovoltaïque sur terres agricoles
Point législatif : la Loi EnR et ses décrets
L’installation d’une centrale solaire sur une prairie pâturée ou un élevage peut être qualifiée d’agrivoltaïque si elle répond à un certain nombre de critères.
- L’agrivoltaïsme consiste à associer, sur la même parcelle, une production agricole principale et une production d’énergie photovoltaïque secondaire.
- Une définition très stricte en a été donnée par la loi EnR du 10 mars 2023 (article 54), relative à l’accélération des énergies renouvelables.
L’objectif est de créer une véritable synergie entre les deux activités.
- L’installation photovoltaïque doit contribuer durablement à l’installation, au maintien ou au développement de la production agricole.
- Elle doit être réversible.
- L’activité agricole demeure l’activité principale de la parcelle.
Le 8 avril 2024, le décret n°2024-318, relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, naturels ou forestiers, a fixé les règles suivantes :
- Le taux de couverture d’une terre arable par des panneaux solaires ne peut excéder 40%.
- La production des cultures sous panneaux doit atteindre au minimum 90% de la production sur une « parcelle témoin ». Dans le cas contraire, des sanctions sont prévues.
- Pour l’élevage, en revanche, le décret ne fixe aucun objectif de rendement ni modalités de calcul. De nouveaux éclaircissements devraient suivre afin de faire avancer les projets en cours.
Des études pour convaincre le monde agricole
Malgré ces avancées, le photovoltaïque sur terres agricoles ne fait pas encore l’unanimité.
- Si beaucoup reconnaissent qu’il peut constituer une vraie opportunité, ils sont encore nombreux à craindre une dépendance trop forte vis-à-vis des revenus de l’énergie. A terme, certains éleveurs et agriculteurs redoutent l’artificialisation de leurs terres, l’explosion des prix du foncier agricole, et la disparition de ce qui constitue « leur coeur de métier ».
- Le revenu paysan issu de l’activité agricole fait d’ailleurs partie des enjeux qui ont entouré les récentes manifestations paysannes en France au début de l’année.
Dans ce contexte, des études poussées sur les effets du photovoltaïque sur les terres et les animaux d’élevage ont été mises en place.
- Elles sont en grande partie orchestrées par l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et son Pôle National de Recherche sur l’agrivoltaïsme. L’objectif ? Constituer un socle de connaissances scientifiques sur les nouveaux systèmes agrivoltaïques et les diffuser.
- Les énergéticiens et les développeurs de projets photovoltaïques, comme UNITe, collaborent activement à ces recherches, de même que les chambres d’agriculture.
Agrivoltaïsme et élevage : quels avantages ?
Si les projets d’ombrières photovoltaïques se multiplient dans les élevages ovins, bovins et porcins, sur les sites de pisciculture, les élevages de volaille et de gibier de chasse, c’est bien parce que les avantages du photovoltaïque en élevage sont nombreux.
L’interview : Camille Rebut
Notre experte : Camille Rebut, diplômée du Master Gouvernance des risques environnementaux, travaille actuellement en tant que Cheffe de projet photovoltaïque au sein du groupe UNITe. Elle nous présentes quelques études sur le photovoltaïque.
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Une nette amélioration du bien-être animal
- Les animaux d’élevage apprécient l’ombrage procuré par les panneaux solaires. Avec la recrudescence des épisodes caniculaires, suscités par le changement climatique, l’assurance d’avoir de l’ombre permanente sur la prairie ou l’élevage est un vrai plus pour les éleveurs.
- La couverture photovoltaïque et les clôtures offrent une protection contre la prédation extérieure (rapaces, loups, etc…). C’est aussi, pour les élevages de volaille et de gibier, une protection supplémentaire contre les contaminations au virus IAHP (influenza aviaire). Ils protègent les abreuvoirs et le sol des déjections d’oiseaux.
- Les panneaux solaires protègent les animaux des intempéries et des aléas climatiques (pluie, vent, grêle…).
Des avantages pour l’éleveur
- Bien conçue, une centrale photovoltaïque installée sur une terre d’élevage ne gêne pas le travail de l’éleveur.
- L’installation assure à l’éleveur une rente financière (loyer) et lui permet de diversifier et de sécuriser ses revenus. Elle assure une plus-value à l’exploitation, contribue à sa modernisation, et renforce la crédibilité financière de l’éleveur auprès des banques.
- L’installation photovoltaïque ne nécessite pas d’entretien lourd ni de main d’œuvre supplémentaire.
- Le développeur prend à sa charge tous les coûts de développement, de construction et d’exploitation de la centrale. Il assure également les opérations de maintenance et de nettoyage des panneaux.
- Faire le choix du photovoltaïque contribue aussi à s’investir dans le développement des énergies renouvelables. C’est un geste fort pour sortir des énergies fossiles et réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le réchauffement climatique.
Panneaux solaires et rendement fourrager
Afin d’assurer au cheptel les meilleures conditions de pâturage possible, il faut s’assurer que les panneaux solaires ne nuisent pas à la qualité et à la quantité du fourrage qui pousse sur les parcelles couvertes.
Toutes les études menées par l’INRAE tendent même à prouver le contraire : les panneaux solaires ont un effet bénéfique sur la pousse de l’herbe.
- La croissance de l’herbe est plus précoce au printemps et prolongée à l’automne. La dynamique de pousse est différente, mais la production fourragère demeure la même sur l’année. Il peut être envisagé de prolonger la saison de pâturage.
- Sous les panneaux, les graminées présentent moins d’épis et plus de feuilles, et donc des valeurs alimentaires plus élevées.
- Les parcelles couvertes bénéficient d’un effet microclimat : moins d’évapotranspiration, diminution du stress hydrique et thermique, réduction des écarts de température, protection contre les aléas climatiques.
- La présence des panneaux permet une meilleure productivité en période de sécheresse, un atout essentiel pour les éleveurs alors que le changement climatique modifie considérablement les calendriers fourragers.
Pour obtenir ces résultats, l’INRAE a procédé à l’étude des trois zones différentes :
- une zone témoin sans panneaux, une zone inter-rangs non couverte, et une zone « sous panneaux ».
- Les données relevées par les capteurs de température, d’humidité et de rayonnement ont été mises en corrélation avec la hauteur, la densité, la quantité et la qualité du fourrage.
Les bénéfices agronomiques sont donc réels, ce que confirment d’autres études réalisées par la FNO (Fédération nationale Ovine) et l’IDELE (Institut de l’élevage).
Penser les projets pour assurer un développement rural durable
Construire un projet adapté aux besoins de l’éleveur
L’exemple des volières photovoltaïques
- Un projet de volière photovoltaïque, comme celui qui a été développé par UNITe à Brinon-sur-Sauldre, doit prendre en compte les besoins de l’éleveur et s’adapter à un cahier des charges spécifique (méthode d’élevage, normes de biosécurité, etc…)
- Pour les élevages de gibier de chasse, l’intégration paysagère des centrales est très importante.
- Il faut assurer le bon dimensionnement de la volière et une hauteur suffisante de panneaux.
- Dans le développement de ces projets, le rôle du Syndicat National des Producteurs de Gibier et le dialogue avec l’aviculteur ont été essentiels.
Les projets agri-solaires ovins.
L’élevage ovin est particulièrement représenté dans les projets photovoltaïques en élevage.
- La petite taille des moutons et des brebis s’adapte parfaitement à la mise en place de parcs au sol, et les moutons assurent eux-mêmes l’entretien de l’herbe autour de la centrale.
- Pour encadrer la pratique, la Fédération Nationale Ovine (FNO) a élaboré en 2023 une Charte de développement des projets agri-solaires ovins vertueux.
L’institut de l’Elevage (IDELE) a également publié un petit guide très complet, « L’Agrivoltaïsme appliqué à l’élevage des ruminants ».
Le guide évoque de nombreux points techniques à destination des éleveurs et des porteurs de projets.
- Trouver le bon ratio ombre/soleil.
- Anticiper les besoins en espace des animaux tout en maximisant la production d’énergie solaire.
- Adapter la centrale au passage et à la déambulation du troupeau (structure monopieux, hauteur suffisante…)
- Réfléchir au type de pâturage souhaité (pâturage tournant ou continu) pour maximiser l’utilisation de la ressource fourragère.
- Protéger les animaux (fils électriques, grignotage, électrocution, pendaison, risque d’étranglement…) et protéger les installations (morsures, frottements, coups de pieds) afin de minimiser les accidents et les risques de blessures.
- Anticiper le passage d’engins agricoles (rangées espacées de 4 à 12 mètres) mais aussi les interventions sur les animaux, notamment pour la période d’agnelage en plein-air.
- Réfléchir à l’intégration d’équipements spécifiques (mangeoires, gouttières, etc…)
Bovins et haies photovoltaïques
La grande taille des bovins nécessite d’installer des ombrières photovoltaïques plus hautes, avec des structures renforcées. Une nouvelle technologie, les panneaux solaires verticaux bi-faciaux, a été développée pour répondre à cette problématique.
- Cette technologie moins intrusive capte les rayons du soleil le matin et le soir (orientation est-ouest) et non aux heures chaudes de la journée comme c’est le cas pour les panneaux solaires inclinés.
- Ces « haies photovoltaïques » ont un effet coupe-vent et offrent une zone d’ombrage.
- Elles s’adaptent parfaitement au passage de gros ruminants et des engins agricoles.
Encadrer le développement durable des zones rurales
Le rôle des chambres d’agriculture
En novembre 2023, les chambres d’agriculture se sont réunies pour élaborer une vision commune et déterminer une stratégie de développement de l’agrivoltaïsme sur les territoires.
- Ces chambres souhaitent accompagner la transition énergétique mais considèrent que cela ne doit être au détriment des intérêts du monde agricole et du développement des zones rurales en particulier.
Plusieurs pistes de réflexion ont été avancées : partager la valeur économique, s’assurer de la viabilité des projets sur le long terme, sanctionner les projets « alibis », prélever une taxe au bénéfice des communes rurales, etc.
La chambre d’agriculture de la Nièvre, par exemple, a mis en place un cadre réglementaire très strict qui vise à encadrer le développement des projets photovoltaïques selon trois axes principaux : valorisation de la production agricole, partage de valeur, et cohérence territoriale.
- Ce « développement encadré » impose un suivi annuel de la production agricole sur les sites d’implantation de panneaux solaires.
- Le producteur d’électricité doit également verser chaque année 1500 € par mégawatt produit à la GUFA, un fonds d’investissement composé de la Chambre et des syndicats agricoles. Cette « taxe » permet de financer des projets au bénéfice des communes ou des exploitations agricoles du département.
Les énergies renouvelables peuvent jouer un rôle dans le développement durable des zones rurales.
Conclusion
Les premières études scientifiques confirment aujourd’hui le bien-fondé de l’agrivoltaïsme. Les retours d’expériences des éleveurs qui ont fait ce choix sont également très positifs.
Ce type de projet, cependant, doit être développé en collaboration étroite avec l’éleveur pour réussir. A une plus grande échelle, le développement du photovoltaïque sur terres agricoles peut s’insérer dans une stratégie plus globale de développement durable du territoire.