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Les EnR constituent des alternatives fiables aux énergies fossiles et permettent de lutter contre le changement climatique et ses répercussions. Leur déploiement à grande échelle n’est cependant pas sans conséquences, notamment sur les espèces vivantes et les écosystèmes.
Pierre Bonicel, directeur de chantier et expert en énergies renouvelables, revient sur ce paradoxe. Quelles sont les solutions mises en place pour concilier efficacement énergie renouvelable et biodiversité ?
Il est impératif de protéger la biodiversité
Des menaces grandissantes
Nous vivons aujourd’hui la 6e grande extinction de masse de notre histoire, avec un taux de disparition des espèces qui s’accélère d’année en année.
- S’il est souvent question d’espèces emblématiques, comme l’ours polaire ou l’orang-outan, nous sommes parfois moins conscients de l’extinction massive des oiseaux ou des pollinisateurs, pourtant essentiels dans nos écosystèmes.
- Un outil de référence est la liste rouge de l’UICN, actualisée tous les ans, qui inventorie les espèces animales et végétales menacées ou en danger d’extinction.
L’Ipbes (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) a identifié en 2019 les 5 grandes causes d’érosion de la biodiversité dans le monde. Parmi elles : le changement climatique et le changement d’occupation des sols, auxquels viennent s’ajouter l’exploitation des espèces, les pollutions, et les espèces exotiques envahissantes.
L’Office Français de la Biodiversité (OFB) a déterminé que la cause la plus importante du déclin de la biodiversité en France est la destruction des habitats et la fragmentation des écosystèmes à des fins d’aménagement du territoire.
La biodiversité au cœur des textes de loi
Loi de 2016
En France, la protection de la biodiversité est au cœur de la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », ou loi sur la biodiversité.
- La biodiversité y est définie comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine […] ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. ».
- La loi instaure la notion de « préjudice écologique », considéré comme un dommage environnemental objectif susceptible d’être réparé ou compensé.
- Elle a abouti à la création d’une agence française pour la biodiversité, devenue en 2020 Office Français de la Biodiversité (OFB).
En France, il existe aussi un classement national et régional des espèces protégées. Les espèces qui y figurent font l’objet de mesures de conservation et sont régulièrement monitorées.
Evolutions récentes
En 2023, la loi dite d’accélération des énergies renouvelables a énoncé un certain nombre de mesures destinées à « préserver la biodiversité ».
- Interdiction de tout projet EnR sur des espaces forestiers induisant un défrichement de 25 hectares ou plus.
- Obligation pour les parkings extérieurs de plus de 1500 m2 de se doter d’ombrières photovoltaïques, afin de privilégier le bâti déjà artificialisé.
La loi a aussi créé un Observatoire national des énergies renouvelables terrestres et de la biodiversité, qui doit ouvrir en mars 2024.
La mission de cet organisme est double :
- Collecter des données pour mieux comprendre les impacts de la transition énergétique sur l’environnement et les espèces vivantes.
- Conseiller les collectivités qui sont désormais chargées de cartographier des « zones d’accélération » de projets EnR sur leur territoire.
Comprendre l’impact des EnR sur l’environnement
Les impacts des installations de production d’énergie renouvelable sur la biodiversité varient d’un cas à l’autre, mais peuvent néanmoins être quantifiés : disparition ou réduction d’une population locale, extinction d’espèces, modifications comportementales, hausse de la mortalité… Ils peuvent être directs ou indirects.
- Emprise au sol des installations
- Perturbation des voies migratoires pour les oiseaux et les poissons
- Impact sur les sédiments dans les rivières (barrages hydroélectriques) et altération de la qualité des frayères
- Altération du microclimat sous les panneaux (solaire terrestre et solaire flottant)
- Collisions mortelles avec des espèces locales et migratrices d’oiseaux et de chiroptères.
- « Effet lac » des panneaux photovoltaïques
- Perturbations liées au bruit et aux champs électromagnétiques
- Perte et fragmentation des habitats naturels
- Pollutions induites par la fuite de produits d’entretien et la maintenance des panneaux solaires
La question de l’exploitation des ressources naturelles en phase de construction et du démantèlement des installations est aussi régulièrement évoquée.
Dans ce contexte, le développement des énergies renouvelables à grande échelle suscite parfois des inquiétudes.
Le suivi environnemental des chantiers EnR : contraintes et méthodologie.
L’interview
Notre expert : Pierre Bonicel. Avec plus de 20 ans d’expérience, Il va nous apporter son expertise de directeur d’exploitation et travaux dans les énergies renouvelables
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Recenser les espèces végétales et animales
Tout projet EnR débute par une phase d’investigation. Il est à la charge du développeur de recenser avec précision toutes les espèces vivantes (faune, flore), locales ou migratrices, présentes sur la parcelle.
- Ce recensement permet d‘anticiper les actions nécessaires pour préserver de manière optimale les équilibres naturels.
- En présence d’une espèce protégée, le développeur est tenu de constituer un dossier de dérogation et de démontrer aux autorités compétentes que le projet EnR n’impactera pas l’espèce en question.
La règle ERC – Eviter, Réduire, Compenser
En phase de conception, un certain nombre de compromis et de solutions sont avancés pour remédier aux potentiels impacts du projet sur l’environnement.
C’est ce que l’on appelle la démarche ERC : « Eviter, Réduire, Compenser ».
Plus précisément : éviter les atteintes à l’environnement, réduire celles qui ne peuvent être suffisamment évitées, compenser les impacts qui ne peuvent être évités ni suffisamment réduits.
- Éviter : privilégier les zones dégradées et les terres artificialisées ; éviter les zones à haute valeur de biodiversité et les couloirs de migration ; planifier les travaux et les périodes d’activités en dehors des phases de migration et de reproduction.
- Réduire : espacement des ombrières photovoltaïques ; restauration de la continuité écologique dans les barrages : turbines ichtyophiles, passes à poissons, rampes à anguilles ; dispositifs d’effarouchement visuels et sonores pour prévenir les collisions (éoliennes).
- Compenser : création ou maintien d’habitats pour les pollinisateurs, restauration d’habitats sur d’autres sites, renforcement de populations d’espèces impactées.
Etude d’impact et suivi du chantier
Si cela s’avère nécessaire, un projet EnR doit se soumettre à une étude d’impact environnemental, demandée au cas par cas par la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement).
- L’objectif est de s’assurer que le projet respecte la loi sur la biodiversité. Les mesures ERC envisagées font également l’objet d’une analyse approfondie.
- Des experts environnementalistes, spécialistes du terrain et des espèces concernées, sont consultés.
- Si les résultats de l’étude prouvent que le projet est compatible avec la préservation de l’environnement et de la biodiversité, une autorisation est délivrée par arrêté préfectoral. Le développeur est alors libre d’entamer les démarches pour obtenir un permis de construire.
Le chantier se déroule toujours sous la surveillance d’experts indépendants et d’écologues agréés, qui rendent compte à l’administration.
Ce suivi se poursuit en phase d’exploitation, après la mise en service de la centrale, et peut durer plusieurs années.
Toutes ces démarches demeurent à la charge du développeur.
Concilier biodiversité et développement des énergies renouvelables : un équilibre à trouver.
La biodiversité passe-t-elle avant le développement des EnR?
- Les contraintes administratives, les délais d’instruction des dossiers (une à plusieurs années) et les coûts de suivi parfois rédhibitoires nuisent à la rentabilité (et donc à la faisabilité) des projets, alors même que l’enjeu biodiversité n’est pas toujours très clair.
- Le déploiement des EnR soulève des débats parfois houleux avec les associations de protection de la nature mais aussi avec le grand public, de plus en plus sensible aux questions d’impact environnemental.
Ces précautions sont néanmoins nécessaires.
Les énergies fossiles et l’activité humaine sont les grandes responsables du réchauffement climatique qui détruit aujourd’hui nos écosystèmes. Décarboner notre mix énergétique et réduire l’émission de gaz à effet de serre (GES) est une priorité, mais il est impensable de compromettre la biodiversité en poursuivant cet objectif.
Anticiper, dialoguer, comprendre et solutionner
- Le secteur des EnR doit intégrer et anticiper les menaces qui pèsent sur la biodiversité dès le lancement du projet.
- La rentabilité et la disponibilité foncière ne peuvent être les seuls critères lorsque l’on décide d’implanter une centrale.
- La viabilité du projet passe aussi par la consultation, la concertation et le dialogue avec les associations de protection et les riverains, d’autant plus que les projets EnR sont toujours conçus sur le long terme.
En juillet 2023, une étude commanditée par l’OFB a permis d’identifier 80 leviers d’action qui permettraient de mieux intégrer les problématiques de biodiversité dans les projets EnR. La fondation WWF a également formulé des recommandations pour améliorer la durabilité des projets.
La résolution des conflits passe aussi par une meilleure connaissance : anticiper les effets cascades d’un déploiement à grande échelle, analyser les impacts cumulés des installations… De nombreuses études sont réalisées en ce sens par l’UICN.
Conclusion
La transition du secteur énergétique ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité. Il est nécessaire d’identifier finement les points de blocage, de mieux concevoir les projets et d’intégrer les enjeux de biodiversité dans le déploiement à grande échelle des énergies vertes.