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EnR : La guerre des courants… de nouveau d’actualité ?

Table des matières

Depuis 130 ans, le courant alternatif (AC) domine le monde. C’est la conséquence directe de la « guerre des courants », une controverse historique dont l’issue a déterminé toute la conception des réseaux électriques dans les pays développés.

 
Stephane his

Notre expert : Stéphane His

Stéphane His, consultant en énergie renouvelable, revient avec nous sur la façon dont les énergies vertes remettent en question le choix de l’alternatif comme mode exclusif de transport et de distribution d’énergie.

 

L’interview

Au format vidéo :

Retrouvez le podcast :

 

La guerre des courants : Thomas Edison vs George Westinghouse

La guerre des courants est une rivalité technique et industrielle qui oppose à la fin du XIXe siècle deux personnages majeurs de l’histoire de l’électricité : Thomas Edison (1847-1931) et George Westinghouse (1846-1914).

Ces deux hommes vont se livrer une bataille féroce pour s’imposer sur l’immense marché de l’électrification des villes aux Etats-Unis.

 

Une guerre technique entre deux courants électriques

L’enjeu repose sur le type de courant électrique utilisé.

  • Edison, l’inventeur de l’ampoule à incandescence, ne jure que par le courant continu, Direct Current (DC).
  • Westinghouse lui préfère le courant alternatif, l’Alternative Current (AC).

 

Courant continu (DC) vs courant alternatif (AC)

La différence entre le courant continu (DC) et le courant alternatif (AC) repose sur le comportement des électrons dans le milieu conducteur, sous l’effet d’une impulsion électrique.

Avec le courant continu (DC), le flux des électrons est unidirectionnel. Il s’écoule dans un seul sens, de la borne négative (-) à la borne positive (+). Il est généré par une pile électrique ou une batterie, et son intensité est constante.

Le courant alternatif (AC) se caractérise par l’oscillation des électrons entre les deux polarités. Ce mouvement de va-et-vient crée une onde sinusoïdale et est engendré par un alternateur. La fréquence, exprimée en Hertz (Hz), correspond au nombre d’allers-retours par seconde entre le + et le -.

 

Le rôle décisif de Nikola Tesla

Le courant alternatif, défendu par Westinghouse, a un avantage majeur. 

  • Grâce au transformateur électrique, un appareil inventé en 1886 par le français Lucien Gaulard (1850-1888), la tension d’un courant électrique alternatif peut être augmentée.
  • Or, élever la tension permet à l’électricité de voyager plus loin !
  • Il devient donc possible, en théorie, d’augmenter considérablement la distance entre un lieu de production (une centrale électrique) et les consommateurs, ce qui est impossible dans un système basé sur le courant continu (DC).

Il faut attendre les travaux de Nikola Tesla (1856-1943), pour que l’histoire se précipite.

  • En 1887, Tesla met au point un nouveau moteur à induction à courant alternatif, et présente son travail devant un panel d’ingénieurs en électricité. Son invention, basée sur le courant triphasé, permet d’augmenter considérablement la distance du transfert, sans perte majeure d’électricité. 

Tesla prouve ainsi qu’un système d’électrification basé sur le courant alternatif à haute tension est économiquement rentable.

 

La guerre des courants, une guerre de communication !

Pour Thomas Edison, le défenseur du courant continu, le haut voltage nécessaire au transport longue distance est extrêmement dangereux ! Il considère qu’il y a là un risque d’accident considérable, alors que son courant continu, maintenu à 110 Volts, ne présente pas de risques pour la vie humaine.

  • Pour le prouver, Edison n’hésite pas à organiser des électrocutions publiques d’animaux : chiens, vaches, chevaux… et même un éléphant !
  • Ces « expériences » attirent l’attention d’un comité très spécial, chargé de réfléchir à une méthode d’exécution « plus humaine et moins cruelle » que la pendaison. Thomas Edison, pourtant opposé à la peine du mort, ira jusqu’à collaborer avec ce comité pour mettre au point la première chaise électrique de l’histoire, qui utilise le courant « meurtrier » de son adversaire !

Mais cette mauvaise publicité ne fonctionne pas. 

Malgré l’acharnement d’Edison à démontrer la dangerosité du courant alternatif, les avantages de ce dernier se révèlent décisifs.

 

Infographie :

La guerre des courants (infographie)

 

La victoire du courant alternatif (AC)

Le 1er mai 1893, c’est en appuyant sur un simple interrupteur que Grover Cleveland, le président de la Chicago World Fair, donne le coup d’envoi de l’exposition universelle de Chicago ! Par ce geste, il allume quelque 100 000 ampoules, alimentées par le système alternatif Westinghouse/Tesla. Le temps de l’exposition, fréquentée par près de 27 millions de visiteurs, The Windy City devient The City of Light !

C’est le coup de grâce pour Thomas Edison et le courant continu (DC), qui perd l’immense marché américain de l’électrification.

La guerre des courants se termine officiellement deux ans plus tard, avec l’attribution à George Westinghouse du contrat pour l’électrification des chutes de Niagara.

 

Quels conséquences sur le réseau électrique d’aujourd’hui ?

  • La victoire de George Westinghouse et de Nikola Tesla a conduit à l’adoption quasi systématique du courant alternatif (AC) dans le monde, pour le transport et la distribution de l’électricité.
  • Le courant alternatif est le courant domestique, celui de la prise secteur qui se trouve dans nos maisons.
  • La possibilité technologique de transporter l’électricité sur de longues distances a conduit à une centralisation et à une concentration des systèmes de production électrique : c’est l’ère des grosses centrales, qui fournissent de loin l’électricité nécessaire à la consommation.

 

Comment les énergies vertes et les évolutions technologiques changent la donne

Un certain nombre d’évolutions tendent aujourd’hui à remettre en cause la primauté du courant alternatif dans le monde. L’essor des énergies vertes, comme l’éolien off-shore et le photovoltaïque, jouent un grand rôle dans ces évolutions.

 

HVDC, ou la revanche du courant continu sur le transport longue distance.

  • Dès la fin des années 30, le développement de l’électronique de puissance a permi d’augmenter le voltage du courant continu et de le transporter sans pertes excessives sur des distances de plus en plus longues.
  • La première ligne commerciale à haute tension en courant continu est inaugurée en Suède en 1954.

Cette nouvelle technologie, le High Voltage Direct Current (HVDC) ou courant continu haute tension, repose sur des câbles aériens ou enterrés, parfois sous-marins.

 

Une compétitivité accrue

Les opérateurs se tournent de plus en plus vers le courant continu pour transporter massivement l’électricité sur de très longues distances.

Les avantages de ce dernier sont en effet nombreux :

  • Pertes énergétiques moindres
  • Absence de stations de conversion DC/AC
  • Coûts d’installation moins élevés

Par ailleurs, la technologie HVDC est la seule option viable pour transporter de l’électricité sous la mer. Par rapport au courant alternatif, elle est plus rentable dès 100 kilomètres avec des câbles enterrés, et dès 50 kilomètres pour des câbles sous-marins.

 

Une meilleure intégration des énergies renouvelables

La technologie HVDC permet aussi de répondre aux problématiques de stabilité du réseau électrique engendrées par la multiplication des sources d’énergie.

  • L’utilisation du courant continu offre plus de souplesse et une fiabilité accrue pour interconnecter différentes sources d’énergie entre elles.
  • C’est d’autant plus vrai pour les énergies renouvelables, qui sont par nature intermittentes et variables.
  • La technologie peut être utilisée pour servir d’intermédiaire entre deux systèmes qui n’utilisent pas les mêmes fréquences, par exemple entre deux réseaux nationaux différents.

Elle permet l’intégration des grandes fermes éoliennes off-shore aux réseaux électriques continentaux.

Parce qu’elle utilise des câbles enterrés ou immergés et éloigne les centrales des sites de consommation, la technologie HVDC facilite l’acceptabilité des nouveaux projets d’infrastructures électriques.

Elle diminue l’impact visuel de ces installations et facilite le processus d’autorisation. Dans une certaine mesure, elle est aussi plus acceptable environnementalement.

Ces atouts se traduisent par la recrudescence, ces dernières années, de grands projets de lignes HVDC en Europe et dans le monde.

 

De nouveaux équipements électriques

Aujourd’hui, le courant continu est partout.

  • Les voitures thermiques traditionnelles sont remplacées par des voitures hybrides ou électriques, qui fonctionnent avec des batteries. Ces batteries, comme les bornes de recharge installées dans les villes, stockent et redistribuent du courant continu (DC 48 V)
  • Il en est de même pour l’éclairage traditionnel qui voit le remplacement progressif des ampoules par des technologies LED, moins gourmandes en énergie et qui fonctionnent en courant continu.
  • Aujourd’hui, plus de 75% des appareils électriques fonctionnent grâce au courant continu : ordinateurs, téléphones portables, ventilation, équipement électroménager ! Ces appareils sont donc équipés d’un système de conversion pour pouvoir fonctionner sur l’alimentation secteur, qui distribue de l’alternatif.
  • Les datacenters, qui abritent un nombre conséquent d’équipements électriques, fonctionnent sur courant continu.
  • L’énergie photovoltaïque, celle qui est produite en toiture ou au sol par les panneaux solaires, est naturellement productrice de courant continu.

Il est donc légitime d’interroger le bien fondé d’un système qui nécessite une conversion systématique, coûteuse en énergie et en équipement, et qui implique des coûts supplémentaires.

 

Guerre des courants 2.0 : quel courant pour demain ?

Le courant continu (DC) fait donc son grand retour.

Comment les réseaux électriques s’adaptent-ils à cette évolution ?

 

Micro-réseaux en courant continu : un enjeu colossal pour les pays en voie de développement

  • Il peut être compliqué, long et coûteux, pour les pays développés qui ont construit toute leur infrastructure sur le courant alternatif (AC), de repenser totalement leur parc de distribution électrique.
  • En revanche, pour les pays en voie de développement qui n’ont jamais bénéficié de grandes infrastructures, il peut être avantageux de miser dès maintenant sur le courant continu !

Pour ces nouveaux marchés, une nouvelle guerre des courants semble se dessiner.

  • Stéphane His rappelle ainsi que dans les années 2000, en Afrique de l’est, des solar home systems (des kits photovoltaïques qui produisent de l’électricité à l’échelle d’une maison) ont été introduits sur le marché par les opérateurs de téléphonie mobile. Ces mini-réseaux fonctionnent avec du courant continu.

Selon la Banque Mondiale, « les mini-réseaux solaires pourraient offrir un approvisionnement ininterrompu en électricité de haute qualité à près d’un demi-milliard de personnes ». Une piste encouragée par les Nations Unies, qui ont inscrit l’accès à tous de services énergétiques fiables, durables et modernes dans leurs objectifs de développement durable.

En 2022, il était estimé qu’environ 775 millions de personnes n’avaient pas accès à l’électricité, notamment en  Afrique subsaharienne.

 

Smart-Grids : vers une Europe de l’énergie verte ?

  • Avec la multiplication des parcs éoliens off-shore, qui nécessitent des câbles sous-marins pour exporter l’électricité, la technologie du courant continu haute tension (HVDC) s’est imposée.
  • Cette technologie est également utilisée pour répondre à la demande croissante d’interconnexion entre les différents réseaux électriques.

A l’échelle européenne, un grand réseau d’échange d’électricité est en cours de construction. Parfois qualifié de Super Smart-Grid, il permet de renforcer la coopération énergétique entre les Etats membres et de favoriser l’intégration massive des énergies renouvelables dans le mix énergétique.

  • Le territoire français est connecté depuis 2015 avec l’Espagne, via la liaison HVDC Baixas-Santa Llogaia, qui traverse les Pyrénées sur 64,5 kilomètres. En 2021, le Ministère de la Transition Énergétique a validé le tracé d’une nouvelle liaison, maritime cette fois. Cette interconnexion, dont la livraison est prévue pour 2028, va doubler les capacités d’échange d’électricité entre les deux pays.
  • La France est également connectée à l’Angleterre par la ligne IFA2, longue de 200 kilomètres, et à l’Italie par la liaison Savoie Piémont, sur 190 kilomètres !
  • Une nouvelle ligne HVDC de 575 kilomètres entre la France et l’Irlande, Celtic Interconnector, doit être livrée en 2026.

Le courant continu, dans sa version 2.0, permet donc des gains économiques, une coopération accrue entre les Etats, l’intégration massive des énergies vertes et une utilisation optimisée des parcs de production.

 

Conclusion

Outre le défi d’accès à l’électricité, le retour en grâce du courant continu est soutenu par la nécessité d’intégrer massivement les énergies vertes dans le mix énergétique. Ces énergies, qui bouleversent le modèle traditionnel de nos réseaux électriques, accompagnent plus que jamais notre futur énergétique.

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