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Photovoltaïque et zones humides

Table des matières

En France, près de 30 % du territoire métropolitain est propice à la présence de zones humides. Ces milieux naturels, zones tampons entre la terre et l’eau, jouent un rôle fondamental : réservoirs de biodiversité, atout majeur contre les inondations et les sécheresses, puits de carbone… Et pourtant, les zones humides comptent aujourd’hui parmi les écosystèmes les plus menacés de la planète.

Pour les développeurs de projets photovoltaïques, la découverte d’une zone humide sur un site pressenti pour l’implantation d’une centrale solaire soulève de nombreuses problématiques… Est-il possible, malgré tout, d’envisager une centrale solaire sur ou à proximité d’une zone humide ? Et surtout, à quelles conditions ?

L’interview : Edith Joyeux

En vidéo : 

Découvrez notre épisode de podcast consacré aux zones humides ! Un épisode enregistré avec Edith Joyeux, Référente Zones Humides et Responsable Développement photovoltaïque pour la région Grand Ouest chez UNITe. Géographe de formation, Edith revient sur les problématiques qui entourent le développement d’un projet photovoltaïque sur zone humide, et nous explique comment UNITe appréhende ces enjeux. 

Retrouvez le podcast :

Qu’est ce qu’une zone humide ?

En France, une zone humide est définie par l’article L211-1 du Code de l’environnement comme un « terrain, exploité ou non, habituellement inondé ou gorgé d’eau douce, salée ou saumâtre, de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année ».

  • Cette définition recouvre une grande variété de milieux : marais, tourbières, prairies humides, lagunes, estuaires, mais aussi certaines gravières, canaux ou bassins artificiels. 
  • Ces zones, que l’on peut définir comme des zones de transition entre la terre et l’eau, se caractérisent par leur capacité à conserver l’eau dans le sol ou à la maintenir en surface. 

Deux critères pour identifier une zone humide

L’identification d’une zone humide repose sur deux critères principaux :

  • Le présence de végétation hygrophile (du grec ὑγρός hugrós, « humide », et φιλεῖν phileĩn « aimer » : « qui aime l’eau ») : c’est le critère végétation.
  • Une morphologie des sols spécifique, liée à la présence prolongée d’eau en surface ou en profondeur : le critère sol.

À noter : Comme le précise l’article E. 211-108 du Code de l’environnement : « En l’absence de végétation hygrophile, la morphologie des sols suffit à définir une zone humide.»

Cette distinction est importante car elle explique pourquoi certaines zones humides sont bien connues et cartographiées — la Camargue, le Marais Poitevin, ou la baie du Mont-Saint-Michel, pour ne citer que les plus connues — tandis que d’autres, dites zones humides ordinaires, restent invisibles jusqu’à ce qu’une étude de terrain révèle leur présence. Même en l’absence de végétation caractéristique, un terrain peut être catégorisé comme « zone humide » si son sol correspond à certains types pédologiques. 

Enrayer la disparition des zones humides : un impératif.

Les causes de la disparition des zones humides en France

Depuis le début du XXe siècle, près de 70 % des zones humides métropolitaines ont disparu, dont la moitié en seulement trente ans, entre 1960 et 1990. Une érosion rapide, souvent silencieuse, mais aux conséquences majeures. 

Les causes de cette disparition sont multiples, et principalement d’origine humaine : 

  • L’artificialisation des sols, liée au développement urbain et aux infrastructures
  • Les aménagements hydrauliques (drainage, endiguement…)
  • L’extraction des matériaux
  • Les pollutions
  • L’agriculture intensive et les prélèvements excessifs d’eau
  • La déprise agricole qui peut conduire à leur enfrichement. 

Il faut également citer la prolifération d’espèces animales ou végétales exotiques envahissantes qui déséquilibre ces écosystèmes, sans oublier le réchauffement climatique. 

« L’assurance vie de l’humanité »

Contrairement à la disparition des forêts, largement  médiatisée, la régression des zones humides demeure mal connue et largement sous-estimée, alors même qu’elle constitue une menace majeure pour la préservation des équilibres écologiques :

  • Les zones humides sont d’abord de très importants réservoirs de biodiversité : elles abritent près de 40% des espèces végétales et animales de la planète, alors qu’elles ne représentent que 6% de la surface du globe.
  • Elles agissent comme de véritables éponges naturelles, capables d’absorber l’excès d’eau en période de crue et de la restituer en période sèche. Leur disparition accroît donc considérablement notre vulnérabilité face aux inondations et aux sécheresses. 
  • Les zones humides sont aussi considérées comme les « reins de la nature » : elles retiennent les polluants et filtrent la ressource en eau douce avant qu’elle n’atteigne les nappes phréatiques ou les cours d’eau. Ce sont de véritables stations d’épuration.
  • Elles contribuent également à limiter l’érosion des sols.
  • Enfin, elles jouent un rôle majeur dans la lutte  contre le réchauffement climatique, en captant et en stockant d’importantes quantités de carbone, beaucoup plus que les forêts !  

Autant de fonctions vitales qui justifient pourquoi les zones humides sont souvent qualifiées  « d’assurance vie de l’humanité ». Leur disparition, y compris celles des zones humides ordinaires, serait catastrophique, avec des conséquences irréversibles. Et il y a urgence : on estime que seuls 6% des habitats humides sont en bon état de conservation.

Fonctions et rôles des zones humides pour l'environnement, la biodiversité et la vie humaine

Plusieurs niveaux de protection

Ce constat alarmant justifie pleinement les efforts déployés pour préserver, et parfois restaurer, les zones humides en France. Ces milieux bénéficient aujourd’hui de plusieurs strates de protection, tant à l’échelle internationale que nationale. 

La Liste de Ramsar, ou zones humides d’importance internationale

Adoptée en 1971, la convention de Ramsar, ou convention sur les zones humides, est un traité international initialement centré sur la préservation des zones d’habitat d’oiseaux d’eau, qui vise aujourd’hui  la conservation et la gestion durable des zones humides à travers le monde.

Ratifiée par près de 90% des États membres de l’ONU, la convention rassemble 172 pays signataires. La liste de Ramsar, dite Liste des zones humides d’importance internationale, comporte aujourd’hui plus de 2500 sites. 

  • Signataire de la convention depuis 1986, la France compte une cinquantaine de sites labellisés Ramsar en métropole, ce qui représente environ 3 millions d’hectares. 
  • Les outremers ne sont pas en reste, avec une dizaine de sites protégés, comme le lagon de Moorea dans le Pacifique, les îles antarctiques Crozet et Kerguelen, ou encore la Basse-Mana de Guyane.

La plupart des sites Ramsar français bénéficient de plusieurs statuts de protection (réserves naturelles, parcs naturels, réserve de chasse, site Natura 2000, etc…).

Un cadre réglementaire national renforcé

A l’échelle nationale, la gestion de la ressource en eau et des zones humides est encadrée par plusieurs dispositifs juridiques. 

Le Code de l’environnement en est le socle. 

  • Il établit le principe d’une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et affirme le principe selon lequel la préservation et la gestion durable des zones humides sont d’intérêt général.
  • Il impose leur prise en compte dans toutes les politiques nationales, régionales ou locales d’aménagement du territoire. 

Concrètement, toute installation, ouvrage, travaux ou activité sur une zone humide doit être porté, avant sa réalisation, à la connaissance du service en charge de la police de l’eau. La délimitation de la zone humide concernée permettra ensuite de déterminer la procédure adaptée à l’aménagement envisagé.

Le Code impose de mettre en place des mesures ERC (éviter, réduire, compenser) pour minimiser et réguler les impacts environnementaux. Ces mesures reposent sur deux principes essentiels :

  • Le principe de non-dégradation des zones humides
  • L’obligation de compensation lorsque leur destruction est avérée inévitable. 

Ce cadre général a été renforcé par plusieurs lois d’orientation et de planification générale : la loi sur l’eau de 1992, puis celle de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA), mais aussi, à l’échelle des territoires, par les SDAGE (Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux) et les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui  traduisent ces préoccupations. 

Le rôle des stratégies nationales

Le Quatrième Plan national milieux humides (2022-2026) est la feuille de route principale en matière de protection et de restauration des zones humides en France. Il prévoit :

  • 325 millions d’euros d’investissement.
  • Le doublement de la surface des milieux humides placés sous protection forte en métropole d’ici 2030.
  • L’intégration renforcée des zones humides dans les aires protégées, en métropole et en outre-mer. 
  • L’extension du réseau Ramsar, avec la labellisation de 2 nouveaux sites par an.

mais aussi :

  • La cartographie complète des zones humides françaises. 
  • La restauration de 50 000 hectares de zones humides d’ici à 2026.

Ce plan s’inscrit dans le cadre plus large de la Stratégie nationale biodiversité 2030, qui prévoit notamment la création d’un douzième parc national, spécifiquement dédié à la préservation des zones humides en France.

Développer un projet photovoltaïque sur zone humide : mission impossible ? 

Les zones humides ordinaires : un défi pour les projets photovoltaïques 

Les zones humides non répertoriées sont souvent mises en évidence lors d’études pédologiques, réalisées dans le cadre des études environnementales qui accompagnent tout projet photovoltaïque. 

  • Ces études s’appuient sur des sondages à la tarière, une méthode d’investigation qui consiste à prélever des échantillons de sol à différentes profondeurs pour analyser la stratigraphie du sol et vérifier l’humidité en profondeur. 

Même si les projets photovoltaïques sont majoritairement implantés sur des terrains à faible enjeu écologique et (idéalement) déjà artificialisés, il arrive que des parcelles à priori propices révèlent, au moment des sondages, des caractéristiques de zone humide. Ce cas de figure se rencontre très souvent dans le cadre de projets agrivoltaïques, développés sur des prairies ou des terres agricoles cultivées. 

Or, la découverte d’une zone humide peut compliquer considérablement le développement d’un projet, car cela implique des contraintes réglementaires supplémentaires, qui peuvent freiner ou remettre en cause le projet. 

Un projet photovoltaïque sur zone humide est-il possible ? 

L’importance des sondages pédologiques précoces

Aujourd’hui, l’une des principales difficultés rencontrées par les développeurs est la découverte tardive d’une zone humide ordinaire sur un site à fort potentiel. 

  • Les sondages pédologiques, indispensables pour caractériser la nature de sols, sont généralement effectués en période hivernale (de novembre à avril). 
  • Or, ce calendrier ne coïncide pas toujours avec les autres étapes de développement (lancement des études écologiques, démarches administratives, etc…). Dans certains cas, les sondages n’interviennent que 6 à 9 mois après le début du projet ! 

La détection précoce d‘éventuelles zones humides est donc un enjeu crucial pour dérisquer le projet. Une découverte tardive — après plusieurs mois d’études et d’investissements — peut remettre en cause l’ensemble du développement.

C’est pourquoi UNITe insiste sur la nécessité de réaliser un diagnostic pédologique dès les premières phases de développement pour identifier la nature des sols et éviter les mauvaises surprises.  

Si une zone humide est détectée, il est indispensable de travailler avec un pédologue pour cartographier la zone le plus précisément possible, mais aussi analyser la nature et la fonctionnalité de la zone humide découverte, afin de comprendre s’il faut mieux renoncer au projet, l’adapter ou le redimensionner. 

Le casse-tête des dossiers de compensation

Lorsqu’un projet photovoltaïque impacte une zone humide, il peut aussi être soumis à un certain nombre de contraintes réglementaires. 

Conformément à l’article L.100-1 II du Code de l’environnement, tout projet d’aménagement se doit : « d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut d’en réduire la portée ; enfin de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. »

Il s’agit de suivre la séquence ERC (Éviter – Réduire – Compenser)

  • Éviter est toujours la meilleure solution : exclure, dès la phase de conception, toute zone humide ou zone sensible du périmètre d’un projet. 
  • Réduire : si l’évitement n’est pas possible, le projet doit être adapté pour réduire au maximum ses impacts (réduire le nombre de pieux, espacer les rangées, utiliser des engins légers en phase chantier, etc…).
  • Compenser : Si éviter et réduire n’est pas suffisant, des mesures compensatoires peuvent être exigées, comme la restauration ou la création d’une zone humide équivalente ailleurs. 

Dans certains cas, le développeur doit également se conformer aux obligations de la Loi sur l’eau

  • Déclaration obligatoire si plus de 1000 de zones humides sont affectés.
  • Autorisation nécessaire au-delà de 1 hectare impacté. 

Toute la difficulté est là : monter un dossier de compensation ou un dossier Loi sur l’eau implique de multiples études et ralentit considérablement le processus d’autorisation. Trouver un site équivalent, prouver l’équivalence fonctionnelle entre la zone impactée et la zone compensée, garantir la pérennité du milieu reconstitué… Le montage de tels projets peut rapidement devenir un véritable casse-tête technique, juridique et administratif. 

A ces difficultés s’ajoute la frilosité des administrations. Les enjeux liés aux zones humides sont tels que certaines administrations se montrent réticentes à accorder des autorisations, même si le développeur prévoit des mesures compensatoires adaptées. 

La responsabilité des développeurs

Face à la complexité des enjeux environnementaux, les développeurs de projets photovoltaïques portent une responsabilité majeure. Réduire l’empreinte écologique des énergies renouvelables et éviter d’accroître la pression sur les milieux naturels est une priorité pour UNITe, qui s’est résolument engagé dans la voie d’une conciliation entre transition énergétique et préservation de la biodiversité.

Cela implique une vigilance dès les premières phases du projet : anticiper les enjeux écologiques, repérer et cartographier les zones humides, réaliser des diagnostics précoces…. Cette approche rigoureuse permet non seulement de préserver ces milieux fragiles, mais aussi de concevoir des projets photovoltaïques solides, afin de favoriser l’acceptabilité des projets et de limiter les risques de recours ou de blocage administratif. 

L’enjeu, par ailleurs, ne se limite pas à  « réduire les impacts ». Dans certains cas, le photovoltaïque peut devenir un outil au service de la préservation ou de la revalorisation des milieux humides fragilisés. La conversion de terres cultivées en prairies pâturées sous panneaux, par exemple, peut contribuer à restaurer la fonctionnalité de zones humides dégradées.

Chaque projet photovoltaïque est également une opportunité d’enrichir nos connaissances sur la biodiversité et les milieux naturels. 

  • Le secteur des énergies renouvelables est aujourd’hui le premier contributeur national de données sur la biodiversité via la plateforme Depobio
  • 40 à 50 millions d’euros sont investis chaque année pour l’étude et le suivi de la biodiversité.

Conclusion

Les zones humides, aussi précieuses que vulnérables, imposent aux développeurs photovoltaïques le plus haut niveau d’exigence et de responsabilité. Leur prise en compte dès les premières phases de développement du projet est indispensable, tant pour préserver la biodiversité que pour garantir sa viabilité. Chez UNITe, cette vigilance s’inscrit dans une démarche plus globale : celle d’une transition énergétique respectueuse de nos écosystèmes

Dans le cas des zones humides, cela passe par des diagnostics précoces, l’application rigoureuse de la séquence ERC, mais aussi la capacité à renoncer à un projet lorsque les enjeux écologiques se révèlent trop importants. Protéger les zones humides ne doit pas être perçu comme une contrainte, mais comme l’opportunité de construire des projets photovoltaïques solides, cohérents et acceptables.

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