Table des matières
Le décret n°2024-318 du 8 avril 2024, publié le 9 avril au Journal officiel, établit un cadre juridique précis pour le développement de l’agrivoltaïsme en France. Il précise les conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur les terrains agricoles, naturels et forestiers. Pris en application de la loi APER, il confirme un changement de paradigme essentiel : pour être autorisé, tout projet de solaire sur terrain réservé à l’agriculture doit être pensé comme un projet agricole.
Dans un contexte parfois tendu, le législateur a souhaité concilier soutien aux énergies vertes et protection de l’agriculture, en introduisant une complémentarité essentielle entre les intérêts agricoles et énergétiques. Entre opportunités et garde-fous, quelles sont les nouvelles règles applicables et comment le texte garantit-il un équilibre durable entre les souverainetés énergétique et alimentaire ?
L’interview : Adrien Brunetti
Chargé de développement de projets photovoltaïques au sol et référent agrivoltaïsme chez UNITe, Adrien Brunetti revient sur les grands points du décret.
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Deux catégories de projets photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers
L’article 54 de la loi APER du 10 mars 2023, dite loi d’accélération des énergies renouvelables, a créé deux catégories d’installations de production d’électricité solaire photovoltaïque, susceptibles d’être autorisées sur des terrains agricoles, naturels et forestiers :
- Les projets agrivoltaïques proprement dits.
- Les projets photovoltaïques au sol compatibles avec une activité agricole, pastorale ou forestière, sur des terrains non exploités.
Le décret n°2024-318 vient préciser ces deux régimes et leurs conditions d’implantation respectives.
Projets agrivoltaïques
Il s’agit des projets d’installations photovoltaïques qui répondent aux critères définies par l’article L. 314-36 du code de l’énergie.
- Ces installations sont associées à des pratiques agricoles (culture ou élevage), en synergie. Elles permettent le maintien de la production agricole et sont réversibles.
- L’agriculture demeure l’activité principale de la parcelle, et l’installation solaire photovoltaïque doit apporter au minimum l’un des services suivants : l’amélioration du potentiel et de l’impact agronomique, l’adaptation au changement climatique, la protection contre les aléas, et/ou l’amélioration du bien-être animal.
Pour rappel, les installations photovoltaïques sur des bâtiments agricoles, comme les hangars photovoltaïques, ne sont pas considérées comme des installations agrivoltaïques.
Projets photovoltaïques au sol compatibles avec une activité agricole, pastorale ou forestière
Cette deuxième catégorie de projets concerne les installations photovoltaïques susceptibles d’être installées sur des terrains incultes ou non cultivés, ainsi que sur des parcelles réputées propices à l’accueil de tels projets.
Terres incultes ou non cultivées
Pour être considéré comme inculte, au sens de l’article L. 111-29 du code de l’urbanisme, un sol à vocation naturelle, agricole, pastorale ou forestière doit satisfaire aux deux critères suivants :
- L’exploitation agricole ou pastorale y est impossible au regard du territoire environnant, en raison de ses caractéristiques topographiques, pédologiques et climatiques ou à la suite d’une décision administrative.
- Il n’entre dans aucune des catégories de forêt définies par arrêté comme présentant de forts enjeux de stock de carbone, de production sylvicole, ou d’enjeux patrimoniaux sur le plan de la biodiversité et des paysages.
Les terres non cultivées ne doivent avoir fait l’objet d’aucune culture depuis 10 ans ou plus.
Parcelles réputées propices
Il peut s’agir d’anciennes carrières, de plans d’eau, de sites pollués ou d’anciennes installations de stockage de déchets dangereux ou inertes, d’anciens aérodromes, de friches industrielles ou encore de délaissés fluvial, portuaire, routier ou ferroviaire.
Identification des zones concernées
- Les chambres d’agriculture départementales disposent d’un délai de 9 mois (à compter de la publication du décret) pour soumettre une proposition de document-cadre identifiant les zones concernées, après consultation de la Commission Départementale de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (CDPENAF) et des collectivités concernées.
- Les zones agricoles protégées (ZAP) et les zones qui accueillent des aménagements fonciers, agricoles ou forestiers, sont de facto exclus. Les parcelles réputées propices sont en revanche inscrites d’office.
- Une révision de ces documents-cadres est prévue tous les 5 ans.
Garantir une production significative et un revenu durable à l’agriculteur
Selon les mots de Bruno Le Maire, alors ministre de l’Economie et des Finances : « Il ne s’agit pas de remplacer la production agricole par de la production d’énergie solaire, mais bien de compléter la production agricole par de la production d’énergie solaire ».
Marc Fesneau, alors ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, avait renchéri : « Un dispositif agrivoltaïque doit conduire au bénéfice de l’activité agricole et de la diversification des revenus perçus par les agriculteurs ».
Pour atteindre ces objectifs, le texte énonce deux principes fondamentaux :
- garantir une production agricole « significative »
- assurer un revenu « durable » pour l’agriculteur ou l’exploitation concernée.
Ces critères sont essentiels pour qu’une installation puisse être qualifiée d’agrivoltaïque.
Établissement d’une zone témoin et indicateurs du rendement agricole
Le décret précise qu’une production agricole est jugée « significative » si le rendement moyen par hectare observé sur la parcelle équipée de panneaux solaires atteint au minimum 90% du rendement moyen observé sur une zone témoin ou un référentiel équivalent.
En d’autres termes, la perte de rendement agricole liée à la présence des panneaux photovoltaïques sur le terrain ne doit pas excéder 10%.
- Le contrôle et la mesure du ce taux de rendement est à la charge des Directions départementales des Territoires (DDT), qui s’occuperont de comparer les rendements agricoles des parcelles concernées à ceux des parcelles témoins.
- Pour les installations photovoltaïques couplées à de l’élevage, c’est le taux de biomasse fourragère sous les panneaux qui sera pris en compte.
Pour que la comparaison soit pertinente, la zone témoin doit répondre aux critères suivants :
- Ne pas être équipée de panneaux solaires.
- Avoir une superficie d’au moins 5% de celle de l’installation agrivoltaïque, dans la limite de 1 hectare.
- Être située à proximité géographique de la parcelle équipée.
- Posséder les mêmes conditions pédoclimatiques.
- Être exploitée dans des conditions de culture identiques.
Des dérogations sont prévues, notamment si la création d’une zone témoin par l’exploitant agricole est techniquement impossible. Le préfet peut alors autoriser l’utilisation d’autres références locales ou d’une zone témoin associée à une autre installation agrivoltaïque, si les deux parcelles sont comparables.
Une exception est prévue pour les installations solaires qui utilisent une ou plusieurs technologies agrivoltaïques éprouvées. La liste de ces technologies doit paraître prochainement (été 2025) sous forme d’arrêté ministériel.
Un taux de couverture solaire limité à 40%
Pour les installations de plus de 10 MWc, le décret fixe une limite de 40% de taux de couverture solaire afin de garantir que la production agricole demeure l’activité principale de la parcelle. Par taux de couverture, on entend le rapport entre la surface couverte par les modules photovoltaïques et la surface totale de la parcelle agricole.
- Ce taux de 40% a fait l’objet d’un débat. L’institut national de la recherche agronomique (INRAE), par la voix de son directeur scientifique Christian Huyghe, a plaidé en faveur d’un taux de couverture à hauteur de 20-25%, plus à même selon lui de ne pas impacter la production de biomasse sur les parcelles couvertes.
- Il a été tranché en faveur des 40% comme seuil maximal car les projets agrivoltaïques ont par définition une distance inter-table plus élevée que d’autres types de centrales.
Le texte reste néanmoins flexible. Les projets existants pour lesquels le taux de couverture est aujourd’hui supérieur à 40% peuvent continuer d’être exploités dès lors qu’ils prouvent leur compatibilité avec l’exercice de l’activité agricole et le maintien d’un rendement suffisant.
Le texte précise aussi que la hauteur de l’installation agrivoltaïque et l’espace aménagé entre les rangées de panneaux doivent permettre une exploitation normale, assurer la circulation et la sécurité physique des personnes et des animaux, ainsi que le passage des engins agricoles.
Assurer un revenu durable
- Selon les termes du décret, le revenu issu de l’activité agricole est considéré comme « durable » lorsque « la moyenne des revenus provenant des ventes des productions végétales et animales de l’exploitation après la mise en place de l’installation agrivoltaïque n’est pas inférieure à la moyenne des revenus observée avant la mise en place de l’installation agrivoltaïque ».
- Cette comparaison doit évidemment tenir compte de l’évolution de la situation économique générale et des choix de l’exploitation.
Autres points majeurs
Dates d’application du décret
- Pour les installations agrivoltaïques : les modalités du décret s’appliquent à tout projet dont la demande de permis est déposée à partir du 9 mai 2024.
- Pour les installations agri-compatibles (photovoltaïque au sol sur des terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière) : les dispositions du décret entrent en vigueur un mois après la publication du document-cadre rédigé par les chambres départementales d’agriculture. Comme indiqué plus haut, ces dernières disposent d’un délai de 9 mois, jusqu’au 9 janvier 2025, pour soumettre leurs propositions.
Précisions sur les demandes d’autorisation d’urbanisme
Le décret introduit également un certain nombre de précisions sur les pièces complémentaires à porter au dossier et précise les conditions de demande et d’octroi des autorisations d’urbanisme.
- Il modifie les règles en matière de compétence pour toute demande d’autorisation relative aux projets d’installations, d’ouvrages et de constructions présentés comme agrivoltaïques. Ces demandes sont désormais instruites par les services de l’Etat et l’autorisation d’urbanisme délivrée par le préfet.
Certains acteurs du secteur, tels que l’association France Agrivoltaïsme, ont exprimé leur regret face à cette décision, estimant que la compétence des maires aurait pu favoriser une meilleure appropriation locale des projets.
Autorisation d’exploitation et démantèlement des centrales
Le décret fixe une durée maximale de 40 ans pour l’exploitation des installations photovoltaïques sur terres agricoles, qu’il s’agisse d’installations agrivoltaïques ou d’installations agri-compatibles.
- Cette durée légale est prolongeable de 10 ans, sous réserve que le rendement agricole demeure significatif.
La réversibilité des installations doit être garantie et la mise en œuvre des projets peut désormais être conditionnée à la constitution préalable de garanties financières, destinées au démantèlement des installations énergétiques et à la remise en état du site.
- Le montant forfaitaire de ces garanties financières a été précisé par arrêté (5 juillet 2024).
Le propriétaire de la centrale dispose d’un délai de 1 an, en fin d’exploitation, pour procéder au démantèlement de l’installation photovoltaïque.
- Ce délai peut être porté à trois ans si la topographie du terrain présente des difficultés particulières.
Un texte qui tient ses promesses ?
Un texte qui instaure des garde-fous mais qui manque encore de précisions
Le texte doit encore être complété par de nouveaux arrêtés qui devraient être publiés courant 2025.
- L’un des arrêtés les plus attendus est celui qui établit la liste des technologies agrivoltaïques éprouvées selon le type de culture ou d’élevage, du système photovoltaïque employé et de l’implantation géographique. Cette liste doit être établie en collaboration avec l’Ademe, l’agence de la transition énergétique.
- Il est également question d’adapter les règles et le statut du bail agricole et du fermage, ou encore de statuer sur le partage de la valeur générée par les projets énergétiques déployés sur terres agricoles.
Contrôles et sanctions
Deux types de contrôles sont prévus pour toutes les installations photovoltaïques sur terres agricoles, qu’elles soient agrivoltaïques ou agri-compatibles :
- Un contrôle préalable à la mise en service, visant à établir un état initial de la zone d’implantation.
- Un contrôle de suivi réalisé 6 ans après l’achèvement des travaux.
Des contrôles réguliers sont ensuite mis en place à intervalles différents selon les caractéristiques de l’installation :
- Tous les 5 ans pour les installations agrivoltaïques utilisant des technologies éprouvées (liste en cours de rédaction)
- Tous les 3 ans si le taux de couverture est inférieur à 40%
- Tous les ans dans les autres cas.
Ces contrôles doivent être effectués par un organisme scientifique, une chambre d’agriculture ou des experts indépendants, à condition qu’ils n’aient pas participé au développement initial du projet.
Des sanctions administratives et pécuniaires sont prévues en cas de non-respect des diverses modalités et obligations. En cas de fraude avérée, la suspension ou la résiliation du contrat de rachat de l’électricité pourra être mise en œuvre. Les sanctions peuvent aller jusqu’au démantèlement de la centrale.
Conclusion
Depuis sa publication, le décret suscite des réactions partagées. Si certains saluent la recherche d’équilibre et la volonté assumée de protéger la souveraineté alimentaire nationale, d’autres pointent du doigt les lacunes et imprécisions du texte, sa complexité administrative, et ce qu’ils considèrent comme l’absence de contrôles effectifs et de sanctions dissuasives. Plusieurs syndicats agricoles ont exprimé des réserves. La filière solaire, quant à elle, reste déterminée à avancer et prône une coopération renforcée avec le monde agricole, qu’elle considère comme un partenaire incontournable.