Dossiers

L’histoire du solaire en France

Table des matières

Stéphane Maureau - D.G. UNITeStéphane MAUREAU qui travaille dans les énergies renouvelables depuis 1990, est ingénieur de formation et DG de UNITe. Dans cette interview, il nous apportera son regard sur l’histoire du photovoltaïque, au travers de son parcours personnel de passionné.

Le podcast de UNITe

UNITe a lancé un podcast autour de la production d’une énergie respectueuse de l’environnement, locale et durable : Photovoltaïque, éolien, hydroélectrique…

Voici l’interview :

Histoire du solaire en France et dans le monde – sur YouTube

Retrouvez le podcast :

Les questions-réponses : Interview sur l’histoire du photovoltaïque

histoire du photovoltaïque (infographie)

Introduction

Vous êtes Aujourd’hui DG d’UNITe, producteur indépendant d’énergie renouvelable, quel est votre parcours dans les énergies renouvelables (ENR) ?

Je travaille dans le secteur des énergies renouvelables depuis 1990, donc depuis 32 ans ! Ingénieur de formation, j’ai découvert l’énergie solaire en Polynésie Française, en faisant mon service national en entreprise à Tahiti, dans une entreprise chargée d’électrifier des sites isolés par énergie photovoltaïque.

La situation à Tahiti :
  • Des sites professionnels isolés tels que les balises en mer (pour éviter les bouteilles de gaz), les réémetteurs télécom sur les sommets montagneux (diffusion de la télé, la radio, le téléphone…)
  • Des habitations isolées sur les atolls du Pacifique par énergie photovoltaïque, pour éviter l’utilisation des groupes électrogènes polluants et très contraignants.

Imaginez une famille qui devait démarrer un moteur bruyant chaque soir et acheminer son carburant par bateau sur des îles sans port… Avec le solaire, plus de bruit, plus d’approvisionnement et de l’électricité H24, permettant d’avoir aussi des congélateurs et éviter le gaspillage alimentaire (et les risques sanitaires).

Cela a aussi aidé au développement des perles de Tahiti, cultivées dans ces lagons magiques, nécessitant de l’électricité pour l’outillage. Là, le solaire était une évidence.

Nouvelle-Calédonie

Puis j’ai pris la direction d’une filiale du groupe Total en Nouvelle-Calédonie, pour développer le même métier pour les tribus isolées (éviter les groupes et l’approvisionnement en 4×4, et les mêmes problèmes de bruit, de pollution).

Un autre énorme avantage du solaire : éviter de réaliser des lignes Haute Tension (HT) dans la forêt tropicale pour des tribus de 10 familles. Le solaire est un moyen d’apporter le service de l’électricité à tous, à un prix équitable pour tous sans investissements déraisonnables. Les utilisateurs ne paient pas l’équipement, mais le service de l’électricité, comme les clients raccordés au réseau (la différence étant que le moyen de production est sur site).

Maroc

Puis, j’ai travaillé au Maroc pour électrifier les habitations non raccordables au réseau : les éleveurs éparpillés dans les grandes plaines centrales du Maroc. Là, le solaire a remplacé la bougie et la lampe à gaz.

C’était un montage à 3 parties :
  • Les paysans marocains, qui désiraient l’électricité, dont la lumière, à la maison comme au village
  • L’État marocain, qui voulait étendre le service de l’électricité aux zones rurales, mais :
    • qui ne pouvait pas financer des réseaux absurdes et
    • qui préférait que les familles restent en zone rurale où elles avaient un métier (d’éleveur), plutôt que d’émigrer à la ville et finir dans la misère du bidonville.
  • Les professionnels du solaire qui savaient déjà concevoir, installer et maintenir une centrale pendant 20 ou 30 ans…

Mais c’était un montage qui n’avait pas de marché s’il n’y a pas une volonté d’Etat.

J’ai ensuite déménagé en Allemagne, où j’ai constaté l’avancée du solaire « urbain », sur les toits de maisons raccordées au réseau.

Retour en France

Enfin, je suis arrivé en France. D’abord au siège de Total Energies (filiale SOLAIRE de Total) :

  • Pour développer le solaire des sites raccordés au réseau, à la manière du marché allemand
  • Des sites isolés en France métropolitaine et DOM-TOM (réémetteurs, refuges, habitats isolés)

Puis, lorsque la France a enfin favorisé le photovoltaïque raccordé au réseau, j’ai créé la société EVASOL qui s’est consacrée au segment résidentiel, de 2006 à 2011, période où les Français ont découvert ce qu’étaient les panneaux photovoltaïques.

Le modèle économique marie un service clé en main (pour que les clients échappent aux incroyables lourdeurs administratives), une grande qualité technique (de matériels et d’organisation des travaux), et une démarche commerciale très intense et presque industrialisée…

Nous avons eu une très belle croissance, plus de 1000 installations par mois, une croissance rapide et solide, une bonne trésorerie… bref, le beau fixe jusqu’à ce que, patatras, un coup d’arrêt absurde de l’État français.

Cette réduction d’activité m’a conduit à céder l’entreprise et à aller investir dans d’autres secteurs, en me faisant la promesse de revenir aux énergies renouvelables (ENR) lorsque celles-ci seraient suffisamment rentables pour se développer sans demander d’aides à l’État. Ce qui est le cas aujourd’hui…

Histoire du photovoltaïque dans le monde

Au-delà de votre parcours professionnel dans les énergies renouvelables (ENR) et le solaire en particulier, pouvez-vous nous brosser un historique du photovoltaïque ?

19ème siècle : découvertes scientifiques
  • 1839 : Découverte de l’effet photovoltaïque (avec du sélénium) par le physicien français Antoine César Becquerel et son fils Alexandre-Edmond Becquerel, qui l’ont présenté à l’Académie des sciences fin 1839. (Ils sont les grand-père et père d’Antoine Henri Becquerel, qui a décrit la radioactivité en 1896)
  • 1883 : (44 ans plus tard) 1ère cellule photovoltaïque, par l’Américain Charles Fritts, qui est parvenu à recouvrir une galette de sélénium par de très fines couches d’or. Le rendement est alors de 1% : Pas d’application industrielle identifiée… cela reste un sujet purement scientifique
Années 50 : applications spatiales
  • 1954 : (71 ans plus tard, dans le contexte du développement spatial), la R&D reprend aux USA, ce qui aboutit au 1er panneau au silicium, avec un rendement honorable de 6% (chercheurs américains du laboratoire Bell : Gerald Pearson, Darryl Chapin et Calvin Fuller). Des applications deviennent envisageables.
  • 1958 : lancement d’une filière appliquée pour l’activité spatiale : 1er satellite (Vanguard 1) dont un émetteur était alimenté en photovoltaïque (avec des cellules au rendement de 9%). C’est la naissance d’une filière industrielle.
Années 70-80 : applications pour les sites isolés
  • La baisse des coûts (grâce aux travaux pour le spatial) débouche sur des utilisations pour des sites isolés (balises, réémetteurs en montagne, maisons isolées…)
Années 90 : 1er changement d’échelle initié au Japon
  • Les Japonais, qui connaissent bien l’industrie électronique (plus de volumes => baisse des coûts et amélioration des performances) lancent un programme subventionné : 100 000 toits photovoltaïque
Années 2000 : second changement d’échelle et industrialisation, en Allemagne.
  • Les allemands comprennent le potentiel et lancent un marché local avec un soutient par les tarifs d’achat. La fabrication s’industrialise (c’est la force du pays) : Les allemands promettent de diviser les prix par 10 en 10 ans ! Des toits se couvrent, de terrains au sol, y compris sur des exploitations agricoles… De 2002 à 2012, les prix du photovoltaïque ont en effet été divisé par 10.

Histoire du photovoltaïque en France

Et la France dans tout ça ? Quelles sont les étapes clefs du Photovoltaïque en France ?

2006 – 2010 : La France se réveille tardivement
  • 2006 : Il ne se passe encore rien en France, faire du solaire raccordé au réseau est même interdit. (On ne fait encore que les sites isolés). Dominique de Villepin discute avec Angela MERKEL, comprend que c’est un vrai marché d’avenir et non une concession aux Grünen. Il constate aussi que son administration n’en veut pas : il court-circuite le système et fait un décret surprise pour établir un tarif d’achat en France et juillet 2006. C’est le début du changement d’échelle en France.
  • 2007 : sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, le photovoltaïque est encouragé (tarifs d’achat + crédits d’impôt + souvent des aides locales, l’industriel PWT se développe, des industriels internationaux ont des projets de bâtir des usines en France (dont l’américain First Solar).
  • Juin 2009 : discours du Président Sarkozy à l’INES « La France est en retard sur les énergies renouvelables. Les gouvernements n’en n’ont pas fait une priorité. La règlementation n’a eu aucune stabilité. Pourquoi ? parce que l’on a cru que le nucléaire suffisait ! Nous voulons devenir leader des énergies décarbonées tant sur le nucléaire que sur les ENR. Nous allons devenir leader sur les ENR au même titre que nous le sommes en nucléaire. Ce sera l’un et l’autre. Objectif 23% d’ENR, en 2020 et c’est un minimum ! Dans ce but il y aura un ensemble de mesures législatives « dites Grenelle 1 et 2 ». Source : https://www.dailymotion.com/video/xab94f. La filière se structure avec enthousiasme, le marché croit vite.

Mais là, arrive un évènement absurde…

Fin 2010 : la France tire le frein à main !
  • 10 décembre 2010 : publication d’un décret, établissant un moratoire sur le photovoltaïque avec mise en application rétroactive au 2 décembre avant sa publication au Journal Officiel.

Quelles ont été les conséquences de ce coup d’arrêt en France ?

A cette date, le prix de revient du MWh photovoltaïque est encore supérieur aux autres. Donc sans soutien financier de l’état, pas de marché.

  • Des milliers de faillites, environ 15000 emplois au tapis,
  • Fragilisation du seul vrai industriel français
  • Abandon des projets de construction d’usine de fabrication de panneaux en France

En conséquence, il n’y a pas de production industrielle complète en France… mais :

  • Nous avons toutes les compétences pour nous y remettre :
    • Semi-conducteur de l’électronique (SOITEC),
    • Verre (St-Gobain),
    • Electronique de puissance pour les onduleurs (Schneider et des allemands)
    • Une R&D honorable (CEA et INES)
  • C’est une énergie décarbonée et compétitive… il faut accélérer (et à court terme nous pouvons utiliser nos centrales nucléaires).
  • La Chine a une longueur d’avance, mais il est possible de revenir dans la course : il y a régulièrement des ruptures technologiques qui offrent de nouvelles opportunités.
    Les USA l’on bien compris, ils ont mis des règles très attractives pour que des industriels viennent s’installer aux USA (L’Europe peut encore se réveiller et jouter le même jeu).
  • En 2020, la France était le seul pays européen à ne pas avoir rempli ses objectifs en matière d’énergies renouvelables, atteignant péniblement le seuil de 19% de renouvelables dans son mix énergétique au lieu de 23%. Le problème, c’est que ces objectifs sont contraignants. La France est donc tenue de rattraper en quelque sorte cet écart, qui représenterait 63 térawattheures, en rachetant aux bons élèves de l’Union européenne leurs « surplus » ; cela pourrait coûter 500 millions d’€ à l’Etat !

Cela semble tellement absurde ! Pourquoi un tel coup d’arrêt ?

  • Dans les années 90 et 2000 (jusqu’à 2006) : opposition sincère d’acteurs ne croyant pas au potentiel du photovoltaïque et voulant éviter que l’on investisse à perte dans un marché perçu (par erreur) comme sans avenir
  • En 2010 : lobbying très cynique (malveillant ?) avec des acteurs voulant s’opposer au photovoltaïque non pas parce qu’ils n’y croyaient pas, mais parce qu’ils y croyaient et ont pris conscience qu’ils n’étaient pas assez entrés dans un secteur d’avenir. Stoppez tout… le temps que j’arrive !

Cette étape est regrettable, mais elle ne change pas les immenses perspectives du photovoltaïque à l’échelle mondiale…

Et aujourd’hui, où en sommes-nous ? Quelle est la place du photovoltaïque dans le monde ?

  1. Dans le monde, le marché a continué de se développer, en volume et en qualité.
  2. La Chine a bien compris que l’énergie photovoltaïque était un enjeu prioritaire : elle a développé la meilleure industrie photovoltaïque du monde.
  3. Les États-Unis aussi (et ils font tout pour attirer des industriels chez eux).
  4. La parité réseau est atteinte : De 2012 à 2022, les prix du photovoltaïque ont été encore divisés par presque 10 (donc par presque 100 de 2002 à 2022).
  5. Le prix de l’énergie photovoltaïque a baissé de plus de 80% de 2010 à 2022 ! Soit 60 à 180 €/MWh selon le type d’installation (marché 500 à 1500 !)
  6. Les prix des installations au sol « fourni posé mis en service » est passé de 4 €/Wc à 0,7 €/Wc.
  7. Les coûts d’exploitation sont passés de 90 €/kW par an à 18 €/kW par an.

Cela paraît incroyable ! Comment une telle baisse de prix a-t-elle été possible ?

  • La croissance des volumes de production a bien réduit le coût de production des modules et des installations.
  • Le rendement des cellules a augmenté grâce à la R&D et à l’amélioration continue (6% en 1954, 24% en 2022, objectif 30% pour les prochaines années).
  • La durée de vie des modules a augmenté (garantie de 30 ans, avec moins de 15% de baisse de performance en 30 ans) (les garanties étaient de 10 ans dans les années 90 !).
  • La professionnalisation de la filière a aussi fait baisser les coûts d’exploitation.

Et ce n’est pas fini ! Les prix de revient continuent de baisser, et ce n’est pas le seul atout du photovoltaïque.

Ainsi aujourd’hui, le photovoltaïque bénéficie d’atouts majeurs qui en fait le premier secteur d’investissement énergétique, dans le monde.

Rappelons les atouts :
  • Atout économique (MWh compétitifs) : Le prix du MWh photovoltaïque est très compétitif, de 60 à 120 €/MWh (selon la complexité des sites).

    Le système de soutien à la filière a été rétabli avec une mesure intelligente : le complément de rémunération. Les aides se sont amenuisées jusqu’à ce que le prix du photovoltaïque soit compétitif sur le marché. Et maintenant, ce n’est plus l’État qui verse des aides au photovoltaïque, mais le monde du photovoltaïque et des autres ENR qui paient l’ÉTAT :

  • Une loi d’accélération : les toits, les parkings, les sols déjà dégradés sont de bonnes cibles, mais cela ne suffira pas, et ce n’est pas le plus compétitif (enjeu de production d’énergie compétitive).
  • Il y aura aussi la rentabilisation des terrains dégradés (anciennes carrières, anciennes décharges) et les terres agricoles (sans sacrifier l’agriculture et l’enjeu de souveraineté alimentaire), en co-usage des terres (élevage, certaines cultures, exemple de la pisciculture).

    Pour l’agriculteur : un revenu complémentaire, avec parfois un service direct (ombrières, ombrage, etc…)

Faudrait-il beaucoup de terres agricoles pour atteindre les objectifs Français en photovoltaïque ?

Non, il en faudrait très peu ! Ayons les ordres de grandeur en tête :

  • Si l’on vise l’objectif ambitieux du discours de Belfort : multiplier le parc installé par 10 d’ici à 2050, donc atteindre 130 GW en service en 2050
  • Et si l’on en fait une petite moitié sur des terres agricoles,
  • Alors il faudrait utiliser environ 0,2% des surfaces agricoles.

    Chaque année, il faudra au photovoltaïque 10 fois moins de terrain que ce que les constructions de maisons ou les routes prennent aux surfaces agricoles

  • Et ce sera souvent en double activité agricole et photovoltaïque

Donc NON, le photovoltaïque ne risque pas de sacrifier l’agriculture, au contraire, il pourra la soutenir, dans un vrai partenariat : c’est ce que l’on fait déjà !

Les chiffres :

La production sera alors de 160 TWh/an, soit 25% de la conso totale d’électricité (qui sera de 640 TWh/an).

Si 50% de cette production était faite au sol et si tout le sol devait se faire sur des terres agricoles, alors :

  • Il faudrait installer 65 GW au sol sur des terres agricoles, soit environ 65 000 ha = soit seulement 0,22% de la SAU*(* : La SAU, ou Surface Agricole Utilisée totale est de 29 millions d’ha. 65 000/29 millions = 0,22%)
  • 65 000 ha en 22 ans => 2 600 ha/an,
  • c’est 10 x moins que ce que « prend » l’habitat individuel (selon la moyenne 2006-2014)
  • Soit 15 x moins que ce que prennent le combo : « maison + routes + bâtiments » :
    • L’habitat individuel prend 25 000 ha par an.
    • Les routes prennent 9 000 ha par an.
    • Les bâtiments et aires de stockage prennent 5 000 ha par an.
    • Sous-total : 39 000 ha par an.

A noter : Ce volume de terrains agricoles utilisés pour le photovoltaïque est aussi à comparer aux surfaces actuellement employées pour des agrocarburants.

En conclusion

En France, quoi qu’il arrive (que la loi soit bonne ou décevante), maintenant ou plus tard, le photovoltaïque se développera très fortement, comme dans les autres pays.
Ce sera tant mieux :

  • Pour notre souveraineté énergétique
  • Pour la protection de l’environnement
  • Pour la maîtrise du prix de l’énergie
  • Pour la réindustrialisation de la France (tôt ou tard)
  • Pour les jeunes que nous recrutons et qui vont faire carrière dans un secteur d’avenir passionnant
  • Pour les propriétaires fonciers et les agriculteurs, qui pourront :
    • Participer à la démarche
    • En bénéficiant de revenus complémentaires appréciables

Le développement du solaire fait partie des projets les plus motivants et fédérateurs que l’on puisse offrir aux Français aujourd’hui ! N’est-ce pas ?

Vous voulez mettre votre terrain en location ? Contactez-nous !